Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/946

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Vous devez faire l’impossible pour amener le roi à m’envoyer un ordre ou mission signé de lui, dans les termes à peu près que j’ai indiqués dans mon second extrait, et que je copierai à la fin de cette lettre. Cette besogne est aussi délicate qu’essentielle aujourd’hui pour vous. Il est venu à Londres tant de gueux, de roués ou d’espèces relativement au dernier libelle, que tout ce qui paraît tenir au même objet ne peut être vu dans ce pays qu’avec beaucoup de mépris. C’est là le fond de votre argument auprès du roi ; faites-lui seulement le détail de ma visite au lord. Il est certain qu’on ne peut pas exiger décemment que ce ministre, tout mon ami qu’il est, se livre à moi pour le service de mon maître, si ce maître ne met aucune différence entre la mission délicate et secrète dont il honore un homme honnête et l’ordre dont il fait charger un exempt de police qui marche à une expédition de son ressort. »


Dans cette longue dépêche à M. de Sartines, dont nous ne citons qu’une petite partie, on peut reconnaître, sans parler de la liberté extrême des rapports de Beaumarchais avec le ministre, avec quelle insistance habile il ramène tout à son idée fixe, obtenir un ordre écrit de la main du roi. Il y a sans doute de l’exagération dans son thème. C’est un homme qui veut se faire valoir et gagner du terrain, qui grossit de son mieux et l’importance d’un libelle, et le danger de déplaire à une reine irritée, et la fragilité d’un ministre ; mais il y a du vrai aussi dans ce thème, applicable aux gouvernemens où les questions de personnes absorbent toutes les autres, et M. de Sartines finit sans doute par croire que sa destinée ministérielle est liée en effet à l’accomplissement des désirs de Beaumarchais, car il fait copier au jeune roi le modèle d’un ordre que son correspondant, avec un aplomb merveilleux, a rédigé lui-même, et qui est ainsi conçu :


« Le sieur de Beaumarchais, chargé de mes ordres secrets, partira pour sa destination le plus tôt qu’il lui sera possible ; la discrétion et la vivacité qu’il mettra dans leur exécution sont la preuve la plus agréable qu’il puisse me donner de son zèle pour mon service.

« Louis. »
« Marly, le 10 juillet 1774. »


Je n’ai pas retrouvé dans les papiers le texte de cet ordre, écrit de la main du roi ; mais je vois, dans la lettre qui suit celle qu’on vient de lire, que Beaumarchais l’a enfin reçu :


« L’ordre de mon maître, écrit-il à M. de Sartines, est encore vierge, c’est-à-dire qu’il n’a été vu de personne ; mais s’il ne m’a pas encore servi relativement aux autres, il ne m’en a pas moins été d’un merveilleux secours pour moi-même, en multipliant mes forces et en doublant mon courage. »


Dans une autre dépêche, Beaumarchais écrit au roi lui-même en ces termes :


« Un amant porte à son col le portrait de sa maîtresse ; un avare y attache ses clefs, un dévot son reliquaire ; moi, j’ai fait faire une boîte d’or ovale,