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dont les physiologistes la distinguent cependant à certains caractères que je n’essaierai point de définir. Les habitans des Preangers sont en général désignés sous le nom de Sondanais ; le nom de Javanais est réservé pour la population qui réside à l’est de Chéribon. Les derniers recensemens attribuent 739,000 âmes à la province des Preangers. On peut juger de la richesse agricole de cette résidence par d’autres chiffres non moins significatifs. Les cinq régences de Tjanjor, Bandong, Limbangan, Soumedang, Soukapoura, nourrissent 145,000 buffles, 5,000 bœufs et 35,000 chevaux. Bien que cette vaste province soit soumise au régime du travail forcé et tenue d’entretenir au profit du gouvernement plus de 80 millions d’arbres à café, elle n’en est pas moins de toutes les résidences celle où le riz est le plus abondant et dans laquelle la subsistance des habitans est en conséquence le mieux assurée. La chaîne centrale dont le Guédé est un des sommets culminans sépare les Preangers des résidences de Buitenzorg et de Chéribon. Ni la propriété européenne, ni l’industrie chinoise n’ont franchi ces Alpes indiennes. C’est donc Java dans toute sa simplicité primitive que nous devions nous attendre à rencontrer sur l’autre versant des montagnes. On peut se figurer aisément l’intérêt que nous nous promettions d’un pareil voyage.

Suivant notre coutume, nous étions en route avant le lever du soleil. Nous avions marqué pour notre première étape le chef-lieu de la résidence des Preangers. Ce n’était qu’une journée de 59 kilomètres ; mais, avant de redescendre vers la plaine de Tjanjor, il fallait atteindre par une rude montée le col du Megameudong, qui s’élève à plus de 1,500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Notre lourde voiture, dont les ressorts, fortifiés de lattes de bambou et de tours multipliés de rotin, devaient défier tous les cahots qui les attendaient dans ce long voyage, ne put gravir le Megameudong sans le secours de six buffles, masses informes à la croupe monstrueuse qui me rappelaient les éléphans de Porus ou ceux de Runjet-Sing. Nous avions heureusement trouvé à mi-chemin de Buitenzorg et du pied de la montagne d’aimables compagnons qui voulurent bien partager avec nous les ennuis de cette ascension laborieuse. Nous suivîmes donc sans trop y songer les longs détours d’une voie escarpée et tortueuse que l’admiration des voyageurs n’a pas craint de comparer à la route du Mont-Cenis, œuvre gigantesque dont l’île de Java fut redevable à la volonté de fer du général Daendels, et dont les travaux coûtèrent, dit-on, la vie à plusieurs milliers de Javanais. On éprouve de singulières sensations quand on gravit les hautes chaînes de montagnes situées sous les tropiques. Chaque pas que vous faites vers la région des nuages équivaut à d’immenses enjambées que vous feriez sur la face aplanie de la terre. Pour vous rapprocher du pôle, vous avez trouvé des bottes de sept lieues. Aussi voyez comme