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pères, à côté des tableaux de MM. Achard, Daubigny, Jules Noël et vingt autres paysagistes qui n’ont réussi à obtenir qu’une réputation indivise, parce que les progrès généraux de l’école se résument, à peu près également dans leurs ouvrages !


IV – SCULPTURE, GRAVURE ET ARCHITECTURE.

Les conditions de la statuaire sont devenues, on le sait de reste, à peu près inconciliables avec les élémens de notre civilisation actuelle et nos habitudes. La peinture, si immuable que soit au fond sa signification, peut au moins se modifier dans la forme, descendre au niveau de nos besoins ou de nos goûts, essayer, à défaut de l’autorité du beau, les séductions de la grâce, du joli, de l’esprit ; elle peut en un mot se rapetisser sans s’anéantir, et vivre même dans un milieu social où le caractère des idées n’est rien moins qu’héroïque. La statuaire n’a pas les mêmes ressources et ne saurait se prêter aux mêmes transformations : en dehors du beau, elle n’existe pas. Or, qu’est-ce que le vêtement moderne, et la nature des modèles que nos sculpteurs ont devant les yeux, sinon la négation même de ce principe de l’art ? Et d’un autre côté suffit-il, pour que cet art conserve parmi nous une importance sérieuse, de le traiter à l’état de souvenir mythologique, de reproduire invariablement des types empruntés à la statuaire antique, et de se conformer en tous points à des traditions qui ne peuvent plus avoir pour nous qu’un sens poétique suranné et un intérêt de convention ? Les artistes capables de modeler honnêtement un Apollon, un faune ou toute autre académie de ce genre, sont nombreux dans notre école ; en revanche, les hommes d’imagination y sont fort rares, et les statuaires contemporains même les plus renommés ne s’élèvent guère au-dessus de la classe des habiles praticiens.

M. Cavalier mérite toutefois d’être excepté du jugement qu’il est permis de porter sur l’ensemble de l’école. Tout en procédant des exemples de l’antiquité, le talent de M. Cavelier garde une physionomie personnelle et sincère, et sans révéler encore une rare puissance d’invention, il exprime du moins un sentiment particulier et un instinct profond de la grandeur. On se souvient de l’éclatant succès qui accueillit au salon de 1849, la Pénélope du jeune artiste : la figure qu’il a exposée cette année n’obtiendra probablement ni les mêmes applaudissemens ni la même unanimité d’éloges, parce que le sujet manque ici de nouveauté et ne comporte pas cette grâce, un peu familière qui séduisait dans l’autre statue ; mais elle se recommande par des qualités d’exécution au moins égales et par une élévation de style plus remarquable encore. Sauf la tête, dont les traits un peu trop romains donnent quelque caractère positif à un être avant tout idéal, les diverses parties de cette figure de la Vérité sont traitées avec un goût excellent. On ne retrouve dans la statue de M. Cavelier ni une froide copie de l’antique, ni l’imitation servile du modèle vivant ; les formes sont vraies sans être trop réelles, belles et nobles sans affectation de purisme, et le jet de toute la figure a beaucoup de force et d’ampleur. Debout, et le bras droit armé de son miroir, la Vérité s’avance vers le spectateur comme impatiente de se manifester. De son bras gauche ployé en arrière, elle soutient les voiles qu’elle vient de rejeter, et qui,