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pavés. Doïtchin est bien vite arrivé devant la tente de l’Arabe, qu’il provoque par d’amères insultes ; mais, terrifié de revoir tout d’un coup vivant le héros qu’il croyait, mort, Huso n’ose entrer en lice. Il offre à Doïtchin paix et amitié, et jure de ne plus jamais revenir sous les murs de Salone. Le malade Doïtchin ne veut rien entendre, et il force l’Arabe à se mettre on défense. Huso lance le premier sa massue contre Doïtchin. Accoutumé aux habiles manœuvres, Doro, voyant venir la massue, se couche ventre à terre. L’arme puissante vole par-dessus la tête de Doïtchin, et va se briser contre les rochers. À son tour, Doïtchin fond sur le noir Arabe, et d’un coup il lui tranche la tête. Avec le bout de son sabre, il en arrache les deux yeux, qu’il enveloppe dans un mouchoir de soie. Puis il rentre à Salone.

« Arrivé devant la forge du maréchal Petro, il lui crie : Approche ici, Petro, que je te paie de ton travail ! Et comme Petro sortait en riant de sa forge, Doïtchin le malade lui fend la tête, disant : Voilà ce qui t’appartient, pour avoir voulu embrasser la femme d’autrui. Avec la pointe de son sabre, il arrache également les deux yeux de cette tête, les enveloppe de son fin mouchoir, et rentre à la maison. Sa sœur et sa femme se précipitent au-devant de lui. À l’une il jette les deux yeux de l’Arabe, pour lui montrer qu’elle n’a plus rien à craindre ; à l’autre il présente les yeux de Petro en lui disant : Il n’essaiera plus de t’embrasser ! Et cela dit, Doïtchin le malade s’affaissa sur son cheval et tomba mort. »


Les piesnas de Vuk offrent souvent une frappante ressemblance avec les légendes patriarcales de la Bible. Ainsi on y voit des héros servir, comme Jacob, près de leur futur beau-père durant de longues années, pour mériter leur fiancée. « L’opulent Mitar lakchitj s’est fait serviteur du voïevode Ianko. Il le sert, non pas pour de l’argent, mais pour obtenir la main de sa sœur. Il l’a déjà servi neuf ans ; la dixième année commence, et loin d’avoir pu embrasser sa future, il n’a pas même encore réussi à lui parler. Le jeune Mitar tombe malade d’amour. » À cette nouvelle, sa future s’attendrit ; elle vient le trouver une nuit dans sa chambre. Mitar l’embrasse jusqu’à l’aurore, et puis tous deux s’enfuient au galop, sur le même cheval, vers les vertes montagnes serbes, emportant les trésors du beau-frère Ianko, ainsi que Jacob emporte les dieux lares de son beau-père. Comme le vieux patriarche Lot, Ianko poursuit aussi les fugitifs, mais en vain, et lorsqu’il les sait bien mariés, il leur envoie paternellement sa bénédiction. — Le jeune Mitar a un frère avec lequel il lui faut bientôt partager un immense héritage. Ce Partage des biens des Iakchitj a donné lieu à une des plus remarquables chansons du recueil de Vuk.


« La lune réprimande Danitsa, l’étoile du matin : — Où es-tu allée, Danitsa ? Où as-tu perdu ton temps depuis trois jours que je ne l’ai vue ? L’étoile Danitsa répond : Je me suis amusée à regarder du haut du ciel dans la blanche Belgrad un curieux événement, le partage des biens paternels entre les deux puissans frères Iakchitj Mitar et Iakchitj Bogdan. Mitar a pris pour lui la