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de l’Angleterre. La France dominait. Sur les rayons du planteur se pressaient les poésies de Lamartine, les romans d’Alexandre Dumas et aussi la Physiologie du Goût de Brillat-Savarin. Aux murs étaient suspendues des gravures d’après les grands maîtres. En outre on voyait ça et là des pipes torques, un fez, des statuettes égyptiennes, et jusqu’à un papyrus hiératique, souvenirs de voyage rapportés de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique dans ce coin du Nouveau-Monde. Nous avons acquis, à la table de M. …, une notion très avantageuse de l’hospitalité du sud, et nous ne sommes revenus à la ville que la nuit, après avoir traversé dans la barque de notre hôte des eaux silencieuses, caressées par une brise douce à respirer et blanchies par une lune brillante. Décidément nous ne sommes plus dans le nord ; c’en est fait de l’hiver, et désormais le printemps est devant nous. À peu de distance de Charleston est un fort que le congrès a fait bâtir et que les secessionistes, ceux qui veulent qu’on se sépare de l’Union si le gouvernement attente aux droits et aux intérêts du sud, dénoncent comme élevé pour maintenir la ville dans l’obéissance. Cette menace d’un côté, cette colère de l’autre, semblent annoncer une crise imminente. Le gouverneur nouvellement élu de l’état de Géorgie vient de déclarer que, tel cas échéant, il faudrait avoir recours à la séparation, et il a conseillé de s’armer pour être prêt à tout événement. Malgré tout cela, je ne vois personne qui redoute à cette heure la dissolution de l’Union. On sent qu’au moment d’en venir à une détermination si grave, les plus violens hésiteront. Il y a dans ce pays une puissance de bon sens qui arrête les partis lorsqu’ils semblent prêts à se porter aux dernières extrémités. La vivacité même des passions politiques et la liberté avec laquelle elles s’expriment avertissent de leur danger et le préviennent : ainsi le régulateur des machines à vapeur reçoit, de l’excès de la force produite, le pouvoir de modérer cette force.


10 janvier.

Nous partons de Charleston, le beau temps continue. Le chemin de fer traverse de grandes plaines voisines de la mer et plantées d’arbres toujours verts. Le sable alterne avec ces terres marécageuses qu’on appelle des swamps. En Europe, c’est en allant vers le nord qu’on trouve sur une vaste étendue des terrains plats et sablonneux, coupés de flaques d’eau et où croissent des forêts d’arbres verts ; ici, nous les rencontrons au sud. Ce pays est désert, et il n’y a pas longtemps qu’il n’était habité que par des sauvages. Çà et là, une jolie habitation isolée dans les bois annonce la venue de la civilisation nouvelle au milieu de ces solitudes. On arrive ainsi à un point où le chemin de fer est interrompu. Il faut faire une journée de