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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/124

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Mais quoi donc encore ? s’écria Lazare impatienté.

— L’amant de ma pauvre fille ! dit le bonhomme Protat.

Après le premier mouvement de surprise indignée que lui causa cette révélation, Lazare demanda des explications. Résumant dans sa pensée sa conduite antérieure avec Adeline, depuis qu’il connaissait cette jeune fille, il ne pouvait y trouver aucun fait dont la malveillance la plus audacieuse pût s’armer.

— C’est impossible, s’écria-t-il, on n’a point dit cela, ce n’est point cela qu’on a voulu dire ! Vous vous alarmez trop vite, c’est un malentendu, un propos isolé d’une jalousie anonyme, excitée par un ruban de plus ou un bout de dentelle. Vos gens de village sont envieux : un coup de langue est vite donné. Cela n’est pas plus dangereux que la piqûre du lanveau qui nous a tant alarmés dans la forêt, et dont il ne reste plus de trace maintenant.

Mais, en écoutant le récit de l’accident arrivé à sa fille, Protat, qui avait laissé paraître une certaine émotion, répondit avec un accent dont la conviction effraya Lazare :

— Mieux vaudrait peut-être que le lanveau eût été une véritable vipère.

— Oh ! murmura la Madelon, que cette réponse avait fait frissonner, pensez-vous qu’il souffre, le pauvre homme, pour dire des choses pareilles ! Et, s’il l’a dit, c’est qu’il les pense, allez !

— Eh quoi ! monsieur Protat, s’écria Lazare, véritablement épouvanté par ce vœu, mais votre fille serait morte à l’heure qu’il est !

L’attitude, le regard et le silence du père d’Adeline semblèrent confirmer que ce terrible souhait était bien l’expression de sa pensée.

— Mais, reprit Lazare, on pourra découvrir celui ou celle qui ont répandu cette abominable calomnie ; on les démasquera, l’innocence de votre fille sera reconnue, proclamée.

— Malheureusement ce n’est ni à un ni à une que nous avons affaire, c’est à tous, interrompit la servante.

Madelon raconta à Lazare comment elle avait appris les propos qui couraient sur le compte de sa jeune maîtresse. C’était au lavoir, pendant qu’ Adeline et Cécile étaient en promenade. Les mêmes discours qui s’étaient tenus la veille dans le cabaret de la Maison-Blanche avaient trouvé un écho dans les commères qui venaient battre leur linge, et toutes ces perfides insinuations s’étaient encore envenimées en passant dans la bouche des femmes. Madelon avait voulu défendre son maître, et surtout sa jeune maîtresse. Elle avait rappelé sa vie isolée, on lui avait répondu : orgueil ; elle avait rappelé sa piété, on lui avait répondu : hypocrisie ; elle avait cité son amour pour son père, on lui avait répondu : mensonge, et plus elle avait essayé de protester contre ces accusations, plus elles étaient