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sont rapidement compliquées dans ces derniers jours, et sont entiers dans une phase nouvelle. Il ne s’agit plus maintenant de négociations régulières. Entre la Russie et la Turquie ; il y a une rupture à peu près complète, qui n’est momentanément suspendue que par l’envoi d’un courrier de Saint-Pétersbourg à Constantinople pour porter l’ultimatum définitif du tsar. Ce n’est que dans quelques jours que le résultat de cette dernière démarche peut être connu. Il faut bien le dire d’ailleurs, à moins d’un revirement peu probable dans la politique de l’une des deux parties, ce résultat n’est point douteux ; il ne peut être qu’un nouveau refus du divan de souscrire aux conditions du cabinet de Saint-Pétersbourg. En même temps, tandis qu’on est à scruter les secrets des mouvemens militaires de la Russie à Sébastopol ou sur les frontières des principautés du Danube, la Turquie organise sa défense ; elle lève des années, réunit ses contingens de terre et de mer. D’un autre côté, la France et l’Angleterre, agissant en commun, viennent d’expédier à leurs flottes l’ordre de se rapprocher des Dardanelles, c’est-à-dire du théâtre même des événemens, de telle sorte que dans les circonstances actuelles le dénouement de cette situation extrême ne saurait tarder. Mais si dans cet intervalle de quelques jours à peine il y a place pour toutes les résolutions violentes, il y a aussi place, nous osons le croire, pour les conseils de la sagesse, pour les interventions modératrices, pour les solutions pacifiques : et puisque cette courte trêve nous est laissée, c’est le moment de jeter encore une fois un coup d’œil sur l’ensemble de ces complications, d’en ressaisir rapidement le point de départ, la généalogie, le caractère et la signification dans la situation actuelle de l’Europe.

La portée, réelle de la dernière intervention de la Russie à Constantinople a été jusqu’ici plutôt présumée que connue au juste. Aujourd’hui les notes diplomatiques, les communications du prince Menchikof, les propositions dont il était porteur, les réponses du divan, tous ces documens divers ont été divulgués, et il n’est plus permis de se méprendre sur le caractère de cet incident, qui, de quelque manière qu’on l’envisage, constitue une des entreprises les plus considérables et les plus étranges tentées dans ce siècle au point de vue international. C’est le 28 février, on ne l’a point oublié, que le prince Menchikof arrivait à Constantinople. L’objet de sa mission était-il connu des cabinets de l’Europe ? Il était connu sans doute d’une manière générale ; il faut bien pourtant que le dernier mot, le véritable mot de cette mission n’eut point été dit, puisque les gouvernemens eux-mêmes ont fini par partager l’incertitude de l’opinion publique et par seconder la résistance de la Porte ottomane ; lorsque le cabinet anglais, par exemple, s’était montré à l’origine assez indifférent sur cette question. C’est par une première note du 16 mars que le prime Menchikof exposait les griefs du gouvernement russe en laissant pressentir par quelques paroles générales les demandes qu’il avait à faire prévaloir ; peu après, ces indications générales prenaient la forme plus précise d’une convention diplomatique dont l’envoyé russe soumettait le projet au divan. Le cabinet turc usait dans cette circonstance d’un moyen dont il a souvent usé, il temporisait ; peut-être aussi cette temporisation n’avait-elle pour but que d’attendre l’arrivée des ambassadeurs d’Angleterre et de France, afin de savoir au juste la mesure des résolutions qu’il pourrait