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sans que je l’aie visité dans son office, saisissant à la volée quelques momens pour lui parler ; mais la vie d’affaires est si active aux États-Unis, qu’il m’échappait sans cesse. Je m’en dédommageais en allant chaque semaine passer le dimanche dans sa maison de campagne de Long-Island. Là, accueilli par son aimable famille comme un ancien ami, je voyais de près cette existence intérieure des Américains, hospitalière et comfortable dans sa simplicité. La conversation ne languissait jamais. M. Sedgwick me parlait, si je voulais, de l’Italie, où nous nous sommes rencontrés ; de la France, de Paris, où il est venu jeune, attaché à la légation américaine, sous la présidence de Jackson, qu’il a connu, qu’il a admiré, qu’il admire encore comme un chef de parti incomparable. Jackson, célèbre par sa bravoure et ses duels, par sa défense de la Nouvelle-Orléans, vainqueur habile et, dit-on, cruel des Séminoles, nature fougueuse qui savait se maîtriser au besoin, Jackson fut le parti démocrate président. Il partagea, il excita les passions de ce parti contre l’autorité fédérale, dont il était investi lui-même. Tribun armé au pouvoir, il conspira constitutionnellement contre le pouvoir. Il fut le Marino Faliero légal de la république, avec cette différence qu’il triompha. Singulière puissance des institutions américaines ! Jackson avait l’instinct du despotisme et l’illustration militaire : ailleurs, il eût mis la liberté en péril ; aux États-Unis, il fut contraint d’employer son ascendant et son ambition à restreindre sa propre prérogative.

À l’extrémité nord de New-York, dans le beau quartier, habite M. Kent, fils du chancelier Kent, auteur d’un commentaire sur la législation américaine, l’ouvrage de jurisprudence le plus important qui existe aux États-Unis. Le chancelier Kent était un homme de la famille des fondateurs de la république, partageant les opinions des fédéralistes, qui étaient les conservateurs ; il a transmis ses opinions à son fils. En lui, je trouve comme un représentant de cette première génération si ferme et si pure, encore anglaise par la culture de l’esprit, la direction des idées, le caractère. Cependant.M. Kent est très bon Américain, mais à la manière d’Alexandre Hamilton. Aussi ce sage et courageux patriote est-il demeuré pour lui l’objet d’une vénération particulière. Il m’a montré le portrait d’Hamilton avec une émotion qui me gagnait quand j’entendais M. Kent me raconter l’histoire de cet admirable jeune homme. Après avoir combattu au premier rang avec Lafayette et Rochambeau, Hamilton se montra dans le Fédéraliste un écrivain politique supérieur, et se trouva être un secrétaire de la trésorerie capable de relever les finances des États-Unis. Sa mort, soudaine et prématurée donne encore plus d’intérêt à sa mémoire. Il tomba dans un duel, tué par un homme d’une célébrité bien différente, Aaron Burr, le seul ambitieux et le seul vicieux parmi