Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’utilité publique, hospices, prisons, asiles, situés dans l’Ile Blackwell et l’île Randal. C’est aux États-Unis que s’est tenté le plus en grand le système de l’amélioration morale par les pénitenciers. Comme je visitais celui de l’île Blackwell un dimanche, les détenus étaient dans la chapelle. Dans cet établissement, on suit le système d’Auburn, c’est-à-dire que les détenus ne sont séparés que la nuit dans leurs cellules, et le jour travaillent en commun et en silence. Je m’informe du genre de punition adopté, sachant que la grande difficulté que présente le système d’Auburn, c’est de maintenir le silence et d’empêcher les condamnés qui travaillent en commun de s’entendre par signes. En Amérique, cette difficulté a été levée par le nerf de bœuf. Il parait que nul châtiment moins positif et moins immédiat n’a le même effet. L’emploi obligé d’un tel moyen de répression et la répugnance qu’il inspire forment même un des principaux argumens qui ont éloigné les publicistes les plus distingués du système d’Auburn et les ont inclinés vers le terrible système de la séparation complète et perpétuelle des condamnés, le système pensylvanien. Il était donc intéressant pour moi de savoir quels châtimens on inflige dans le pénitencier de Blakwell. Le gardien m’apprit qu’on emploie les douches pour les deux sexes, punition qui est très redoutée, et le fouet pour les hommes ; quant aux femmes, elles ne doivent pas être frappées, mais, dit le gardien en souriant, elles reçoivent bien quelques taloches [slap).

Un renseignement plus curieux à cet égard est celui qu’un heureux hasard me permet de recueillir de la bouche d’un ancien directeur de la prison de Sing-Sing, qu’on a fait bâtir par les prisonniers eux-mêmes, et où l’on suit le système d’Auburn. M. … a dirigé l’établissement de Sing-Sing pendant quatre ans. Il a voulu essayer de se passer du fouet pour la discipline de la prison. Son prédécesseur employait quinze cents ou deux mille fois ce mode de punition dans l’espace d’un mois ; M. … est parvenu à ne pas l’employer du tout. Voici comment il s’y est pris. Il s’est bien gardé de parler à qui que ce fût de son intention, de la laisser soupçonner aux gardiens et surtout aux détenus. Seulement nul autre que lui ne pouvait ordonner la peine en question, peu à peu, toujours sans rien dire à personne, il a rendu cette peine plus rare et a fini par ne plus l’appliquer ; mais l’on doit remarquer que, bien qu’à Sing-Sing le châtiment du fouet ne fût pas employé, la menace de ce châtiment existait toujours. Ainsi la question n’est pas encore entièrement résolue. D’ailleurs une seule expérience ne peut suffire ; celle-ci n’est pas moins intéressante par l’adresse avec laquelle elle a été exécutée et par les résultats qu’elle a produits. Je la livre aux réflexions des hommes spéciaux à titre de document.