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qui avait développé en elle le libertinage, à l’influence de l’esprit, qui avait amené la stérilité. Le germe de corruption qui était en elle s’était complètement développé ; il avait jeté dans le ridicule les formules poétiques, dans l’abaissement les intelligences. On sait où en étaient tombées ces formules poétiques : tout l’Olympe fêtait les saturnales, l’assemblée des dieux du divin Homère se débattait dans le plus étrange désordre. Toutes les divinités qui représentaient quelques idées grandes, nobles et poétiques, étaient traquées, pourchassées ; on ne connaissait plus que les petites déesses pimpantes, faciles et libertines, celles qui avaient le moins de tunique, et qui par tempérament avaient toujours fait rude guerre à la pudeur ; encore leur avait-on ôté l’écharpe légère, le seul vêtement et le juste symbole de la pudicité antique. Cypris, Iris, Flore, étaient montées gaillardement sur la montagne du Pinde, et y chantaient coquettement des chansons obscènes ; enfin, l’Olympe était parfaitement représenté par les coulisses de l’Opéra et de la Comédie-Française, et c’était là qu’avait abouti la poésie mythologique.

Quant à l’intelligence des gens de lettres, elle offrait aussi, autant du moins qu’on en peut juger par les œuvres purement littéraires, tous les signes de la décrépitude et de l’abaissement. C’était d’abord l’inertie de la pensée, sorte de maladie spirituelle où la vie quitte peu à peu ces nobles facultés qui composent, pour ainsi parler, le cœur de l’intelligence humaine, c’est-à-dire l’enthousiasme, la poésie, la foi, l’amour sincère de la vérité, le respect de soi et de son génie. Toute l’activité se réfugie alors aux extrémités les plus flexibles de l’esprit humain, flatte les plus vils instincts et se concentre dans les facultés les plus impressionnables, mais les moins fécondes, les moins larges et les moins respectées. Puis venaient, comme conséquence, la haine instinctive et implacable de l’originalité sincère, l’imitation, non plus même des modèles, mais des imitateurs, c’est-à-dire la constante imitation de soi-même pour toute originalité, et pour toute émulation l’imitation de ses voisins.

Telle est la position du XVIIIe siècle dans l’histoire de notre poésie, et tel était, dans son apparence générale, l’état de ces mœurs et de cette littérature où l’on va chercher les modèles de notre esprit national. Mais ni les mœurs n’étaient toutes corrompues, ni toute la littérature déplorable ; Burke, que sa qualité de libre Anglais ne rendait pas partial en faveur de la noblesse française, et que sa qualité de protestant ne disposait pas à flatter le clergé catholique, Burke reconnaît dans ses Lettres que l’immense majorité du clergé avait conservé la sainteté de son caractère, et que la corruption n’avait gagné en province ni la noblesse, ni la bourgeoisie, ni le peuple. De même, au milieu de cet affaissement où la littérature était tombée, nous trouvons des hommes de génie, et leurs noms sont restés dans la mémoire de tous : ils ont certainement porté la peine du temps où ils ont vécu ; mais, tout en constatant la corruption qui les entoure et les envahit nécessairement, nous ne pouvons nier ni la force de leur intelligence, ni la grandeur de leur talent. Dans les degrés inférieurs de la littérature, bien des esprits sérieux se rencontraient aussi, qui apportaient dans les diverses branches de la science une gravité et une profondeur de pensée dignes du siècle de Louis XIV. Enfin nous savons que ce ne serait point une infructueuse étude de rechercher ce qui resta dans le XVIIIe siècle des antiques qualités du génie national. Au moins,