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tout le monde et les caractères à la mode dans la littérature ? Si ceux qui font cette recherche joignent à cette bonne volonté d’imitation l’amour de la fadeur, des couleurs tendres, du gracieux bavardage, ne trouveront-ils pas dans le XVIIIe siècle, comme Cendrillon dans le palais de sa marraine, toute une garde-robe qui leur ira à ravir ?

Telle est l’origine de la littérature qui va chercher ses inspirations dans la décadence du dernier siècle. Cette littérature, comme on voit, n’est qu’un voile particulier dont s’enveloppe une particulière espèce d’esprits médiocres, d’imaginations débiles, mais flexibles et impressionnables à la manière des imaginations féminines, et c’est en dernière analyse la poésie légère qui voudrait n’être plus légère, la littérature fugitive qui se prend au sérieux. Presque toute l’activité de ces esprits consiste à découper des miniatures dans notre littérature ou dans celle du siècle dernier, et à les revêtir des habits du siècle auquel elles n’appartiennent pas. Dans leur plus haute ambition, ces écrivains veulent mêler la fantaisie sensualiste du XIXe siècle au matérialisme brutal du XVIIIe siècle, et l’on peut prévoir qu’ils parviendront tout au plus à jeter dans le monde littéraire une nouvelle espèce de courtisane qui portera dans sa coiffure, sans pouvoir l’introduire dans le cœur, la coquetterie purement extérieure et libertine du XVIIIe siècle à côté de la coquetterie sentimentale et passionnée du XIXe. C’est toujours ainsi la même méthode, la phraséologie la plus exaltée, la plus tourmentée de l’école romantique en ses mauvais jours, ornant les caractères les plus secs et les plus fades du dernier siècle, c’est-à-dire la tentative extravagante de mêler deux siècles tout différens en les joignant par leurs côtés les plus accusés. Jusqu’ici, ils ont meublé fort joliment quelques boudoirs, et ils ont publié, en l’appelant naïvement l’esprit français, la bibliothèque que nous savons. Ils semblent y avoir voulu inaugurer, dans les préfaces, une nouvelle espèce de biographie qu’on pourrait appeler le roman biographique, et une nouvelle sorte de critique où il y aurait plus de meubles que de raisons, plus de mouches que d’idées. Les déclamations du roman contemporain et les banalités de l’école descriptive y joueraient le rôle de l’histoire et de la philosophie. La seule idée saisissable que présente cette littérature, c’est l’adoration naïve et ébahie qu’elle montre pour l’esprit ; nous avons vu à quelle sorte d’esprit elle adresse son hommage, et nous tenons pour certain qu’il y a plus d’esprit vraiment français dans l’Avocat Pathelin que dans tout ce XVIIIe siècle qu’elle nous a présenté. Après tout, ce n’est pas l’esprit qui dirigera notre littérature, si elle doit avoir quelque avenir ; l’esprit n’est point fécond, il ne crée rien ; il est une arme, non un germe ; quand il est une puissance, c’est une puissance de mort, et il n’est à l’aise que dans les époques où la raillerie et le scepticisme gouvernent les instincts de tous. C’est la muse venimeuse ; on ne l’adore que dans les siècles de décadence et de destruction, car c’est lui surtout qui est propre à faire des ruines, et c’est vraiment grande pitié quand Dieu l’envoie au milieu d’une société, car il est l’ennemi des deux seules choses qui fécondent et conservent en ce monde : la foi et le sacrifice. Ces graves observations ne s’adressent pas aux écrivains dont nous venons de parler, et nous savons qu’ils n’ont d’autre droit à l’héritage spirituel même des Voisenon et des Duclos que leur bonne volonté.