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Tenus en défiance par les préparatifs qui se faisaient à leurs portes sous prétexte d’une expédition en Floride, les Rochelais n’avaient cru qu’à demi à la paix de Saint-Germain. Les massacres du 24 août 1572 les trouvèrent donc sur leurs gardes, et aux premières nouvelles ils se préparèrent à défendre courageusement leur vie et leur religion[1]. Le maire, Jacques-Henri, mit la ville en état de défense et arma tous les habitans. Paris, Orléans, Tours, Bordeaux, Castres, Nîmes, lui envoyèrent une foule de calvinistes échappés au fer des assassins, et ces réfugiés formèrent le redoutable corps des enfans-perdus ; mais malgré tout leur courage, ces soldats inexpérimentés auraient difficilement tenu tête aux troupes royales, si un événement assez inattendu ne leur fut venu en aide. Après bien des refus, le brave Lanoue, nommé par Charles IX gouverneur militaire de La Rochelle, avait accepté cette charge. Également dévoué à son roi et à ses coreligionnaires, — Lanoue était calviniste, — il partit, promettant de tout faire pour amener la ville à se soumettre, mais déclarant en même temps que jusqu’à la paix il l’aiderait de ses conseils et de son épée. Lanoue tint parole aux deux partis. Nommé gouverneur pour les armes par les Rochelais et investi sous ce titre d’une véritable dictature militaire, on le vit constamment payer de sa personne comme chef et comme soldat contre les troupes royales, en même temps qu’il prêchait sans cesse la soumission au roi. Malheureusement, ce rôle étrange, si loyal dans ses apparentes contradictions, ne pouvait se soutenir longtemps au milieu des passions violentes qui dominaient à la cour et dans La Rochelle. Bientôt Lanoue eut perdu toute autorité, et, vers le milieu du siège, il sortit de la ville avec le regret de n’avoir pu remplir sa mission. Le départ de leur brave chef eut pu être fatal aux Rochelais ; mais il leur laissait une forte organisation militaire, des bandes aguerries et disciplinées par lui, des chefs dont le courage s’était éclairé de son expérience, et ce n’est peut-être pas exagérer que d’attribuer en partie le triomphe de La Rochelle au séjour de quatre mois que Lanoue avait fait dans ses murs.

Déjà le territoire de La Rochelle avait été envahi et la place investie, lorsque le duc d’Anjou vint prendre le commandement du siège. Avec le vainqueur de Jarnac et de Montcontour arrivaient le duc d’Alençon, son frère, et Henri de Navarre. Autour d’eux se pressaient l’élite de la noblesse française, le prince de Condé, les ducs de Nevers, de Longueville, de Guise et de Mayenne ; le duc d’Aumale, le héros catholique de la Henriade, à qui Charles IX avait confié la direction du siège ; les maréchaux de Brissac et de Montluc ; le comte de Retz, l’amiral

  1. Histoire du siège de la Rochelle par le duc d’Anjou en 1573, par A. Genet, capitaine du génie. L’auteur de cette relation, faite surtout au point de vue militaire, a réuni dans un travail tous les documens laissés sur ce siège. C’est de lui et du père Arcère que nous avons extrait le résumé qu’on va lire.