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La Rochelle ne s’est jamais entièrement relevée du coup terrible porté par Richelieu. À diverses reprises, ses relations avec le Canada, la côte d’Afrique ou Saint-Domingue ont ramené dans ses murs le commerce et la richesse ; de nos jours encore, ses sels, ses eaux-de-vie, ses arméniens pour la pêche, appellent dans ses bassins de nombreux navires ; mais la population n’a pu encore se rapprocher de son chiffre primitif. Elle s’est à la fois réduite et transformée. La Rochelle ne renferme que 15,000 habitans ; dans ce nombre, on ne compte guère que 800 protestans, et à peine quelques familles pourraient-elles suivre leur généalogie jusqu’à l’époque des sièges. Les persécutions qui commencèrent dès qu’on ne craignit plus les calvinistes, la révocation de l’édit de Nantes et les émigrations en masse ; qui en furent la suite, les mariages mixtes, presque toujours contractés au profit de la religion dominante, ont amené ce résultat. La ville elle-même a peu changé. Les rues sont encore bordées de porches ou galeries basses qui cachent les piétons et donnent à l’ensemble quelque chose de désert et de sombre bien en harmonie avec la gravité puritaine de ceux qui les bâtirent. L’hôtel-de-ville, avec sa façade de pierres tout unie, avec sa porte de forteresse, ses deux tours et son cordon de créneaux et de mâchicoulis, est bien la digne maison commune de ces fiers marchands qui combattirent sous Morisson et Jean Guiton ; mais des remparts qui les abritèrent, il ne reste plus que trois tours conservées par Richelieu comme autant de citadelles et reliées depuis à l’ensemble des fortifications élevées d’après les plans de Vauban. À l’entrée du port, la tour de la Chaîne et le donjon massif de Saint-Nicolas se dressent comme deux sentinelles de grandeur inégale, et leurs vieilles murailles, qui datent de Charles V, évoquent tous les souvenirs guerriers de La Rochelle. La tour de la Chaîne se rattache par une étroite courtine à la tour de la Lanterne, qui conserve encore la singulière pyramide de pierres où s’allumait chaque soir le fanal destiné à guider les navires. Une route partant de cette dernière conduit, à travers les remparts, à la promenade du Mail, vaste pelouse de 600 mètres de long, encadrée de quatre rangées d’ormes séculaires, et qui se termine à mi-côte d’une colline dont le sommet commande le port et la ville. Là, on rencontre une gaie maison de campagne, une ferme et leurs jardins encaissés entre des tertres peu élevés. Ces tertres, que la charrue tend chaque année à niveler, sont tout ce qui reste du Port-Louis, de ce fort qui avala la ville, et c’est à peine si l’œil peut deviner à quelques plis du terrain le plan des glacis ou la trace des fossés. La digue s’est mieux conservée : les vents et les flots en ont démoli le sommet et adouci les talus ; mais quand la mer baisse, on la voit montrer une à une ses pierres bouleversées, se détacher du rivage et s’allonger peu à peu comme une ligne noire qui semble vouloir barrer encore l’entrée du port.