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ans, exigent de nos jours une révision sévère. De là vient l’intérêt tout particulier qui s’attache à l’étude de groupes longtemps négligés, et par suite la remarquable émulation qui amène sur les bords de la mer des naturalistes de tous pays, c’est qu’en effet les faunes marines ressemblent assez peu aux faunes de la terre, de l’air ou des eaux douces. La mer nourrit des groupes entiers appartenant à des types spéciaux qui n’ont ailleurs aucun représentant. C’est là que vivent presque uniquement ces animaux étranges chez qui la machine animale est réduite à sa plus simple expression, quoique conservant un volume considérable, véritables expériences de physiologie toutes faites par la nature, et qu’il suffit de savoir reconnaître et interpréter. Enfin c’est là qu’il faut aller chercher ces êtres aux formes extérieures anormales, aux dispositions organiques exceptionnelles, qui déroutent tant de nomenclateurs et d’anatomistes systématiques, qui ouvrent aux amis de la vérité des horizons de plus en plus vastes et variés.

À ces divers titres, le branchellion nous semble mériter toute l’attention des naturalistes. Cet animal vit en parasite sur la torpille ; on ne le trouve jamais ailleurs, et, remarquons-le en passant, c’est déjà un fait bien curieux. Personne n’ignore que la torpille, espèce de machine électrique vivante, peut foudroyer ses ennemis même à une distance considérable. Les pêcheurs font journellement l’expérience des singulières facultés de ce poisson. Dès qu’ils en tiennent un dans leur chalut[1], ils en sont prévenus par les secousses que leur transmettent les cordes d’amarrage, et l’un d’eux m’affirmait que ces secousses sont parfois assez violentes pour les forcer à larguer quand ils hissent leurs filets à bord, et à laisser tout retomber au fond de la mer. Pour que le branchellion puisse impunément vivre aux dépens de la torpille, il faut que son organisation le rende insensible aux actions électriques, ou bien qu’elle permette à ce ver, de trois ou quatre centimètres de long, de résister à des décharges qui ébranlent les hommes les plus vigoureux.

Découvert par Rudolphi, le branchellion a été classé par Savigny parmi les sangsues. Cuvier, Blainville et leurs successeurs l’ont maintenu à cette place, et pourtant ses caractères extérieurs, à eux seuls, devaient soulever quelques doutes à cet égard. Comme les autres sangsues, le branchellion porte à chacune de ses extrémités une ventouse qui lui sert à se fixer solidement ; mais le corps, au lieu d’être d’une seule venue, comme chez tous les animaux dont on le rapproche, porte en avant une sorte de cou arrondi et renflé en fuseau, représentant à peu près le tiers de la longueur totale, tandis que le

  1. Espèce de filet ou plutôt de drague, très-employée le long de nos côtes.