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des écarts considérables, celui-ci me paraissait bien grand. Pourtant l’observation directe m’apprit qu’il en était ainsi, et l’expérimentation confirma ce résultat

En effet, placés sous le microscope, ces larges feuillets membraneux, si minces et en apparence d’une organisation si simple, me montrèrent des couches cutanées pour les protéger, des fibres musculaires et ligamenteuses pour les mouvoir et les maintenir épanouis, des nerfs pour les animer ; surtout j’y découvris des canaux ramifiés donnant naissance à un réseau que parcourait un liquide parfaitement incolore et chargé de granulations très fines dont les mouvemens indiquaient ceux du liquide lui-même. À elle seule, cette structure caractéristique pouvait autoriser à regarder ces appendices comme de véritables branchies ; mais je voulus, et pour moi-même et pour les autres, une preuve plus décisive. À l’aide d’une seringue à tube capillaire, je poussai dans les canaux qui relient entre eux ces appendices un précipité de fer à peine bleuâtre qui a la propriété de se foncer au contact de l’oxygène et de se changer en bleu de Prusse. J’avais eu soin d’opérer sur un animal plein de vivacité. Quoique l’opération eût parfaitement réussi, je n’aperçus d’abord aucun changement : la couleur du liquide employé se confondait avec celle des tissus. Mais bientôt l’air dissous dans l’eau, pénétrant à travers les tissus vivans de l’animal, agit sur mon précipité comme il l’eût fait sur le sang lui-même, et lui céda son oxygène. Je vis les appendices se teinter rapidement ; les vaisseaux prirent l’aspect de lignes ondulées d’un bleu de plus en plus foncé, et, au bout de quelques minutes, je distinguai les réseaux à la simple loupe. Cette expérience était décisive. J’avais vu, qu’on me permette l’expression, respirer le sel de fer. Les appendices du branchellion étaient incontestablement des branchies.

Le rôle de ces organes une fois fixé, j’eus à me demander quel liquide venait y subir l’action de l’air. La question peut paraître étrange au premier abord. Sans s’être occupé d’histoire naturelle, sans être même médecin, on sait généralement que le sang seul respire dans le poumon chez les mammifères, les oiseaux et les reptiles ; dans les branchies, chez les poissons. Existe-t-il donc chez certains invertébrés un autre liquide nourricier que le sang, et ce liquide a-t-il, lui aussi, besoin de se vivifier au contact de l’air ? Répondons d’abord affirmativement, et entrons ensuite dans quelques détails pour faire comprendre ce fait très important.

Chez tous les animaux, à quelque groupe qu’ils appartiennent, le liquide nourricier, quelle que soit sa véritable nature[1], s’épuise

  1. J’ai cherché à montrer ailleurs comment l’appareil circulatoire se complète successivement, et comment à cette complication progressive correspond la caractérisation également progressive des liquides nourriciers. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 octobre 1846. Côtes de Sicile, III.