Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La civilisation, au moyen âge, va toujours du sud au nord. L’agriculture, comme tous les arts, a fleuri d’abord en Italie. La Provence et le Languedoc furent de bonne heure les parties de la France les mieux cultivées, comme les plus rapprochées du foyer lumineux. Olivier de Serres était né sur les confins de ces deux provinces. La Grande-Bretagne, située beaucoup plus loin, ne reçut que plus tard l’impulsion. Après le règne d’Elisabeth, on y était encore en pleine barbarie. Guichardin évalue à 2 millions d’âmes seulement la population de l’Angleterre proprement dite de son temps ; d’autres la portent à 4 millions ; elle en compte aujourd’hui 16. Les trois quarts du pays restaient en friche. Des bandes de vagabonds dévastaient les campagnes. La nation inquiète, profondément agitée, cherchait à se constituer ; mais elle devait passer par une longue série de révolutions avant de trouver sa forme définitive, et, en attendant, l’agriculture souffrait comme le reste. Pendant tout, le cours du XVIIe siècle, la France vendait du blé à la Grande-Bretagne. Après 1688, tout change. Les ombres s’étendent sur la France épuisée par les folies de Louis XIV. L’Angleterre, au contraire, renouvelée et rajeunie, prend un essor qui ne doit plus s’arrêter. La population de la France descend au lieu de s’accroître ; celle de l’Angleterre monte rapidement. Boisguillebert, Vauban, tous les documens du temps, constatent la décadence progressive de l’agriculture française. L’Angleterre au contraire, qui ne produisait pas, sous les Stuarts, assez de grains pour se nourrir, devient, cent ans après, le grenier de l’Europe. Bien qu’elle eût une population double à alimenter, et que cette population vécût beaucoup mieux que par le passé, elle vendait tous les ans un ou deux millions d’hectolitres de blé à l’étranger, ce qui est énorme pour les moyens de transport connus à cette époque. On a calculé que, dans la dernière moitié du XVIIIe siècle, elle vendit à ses voisins, et notamment à la France, pour un milliard de francs de céréales.

Mais aussi que de succès pour elle, et que de revers pour nous pendant cette fatale période ! D’abord la terrible guerre de la succession, les cruelles défaites de Blenheim, de Ramillies et de Malplaquet, l’existence même de la France compromise et sauvée comme par miracle à Denain ; ensuite la guerre, plus désastreuse encore, de sept ans, la défaite de Rosbach, nos flottes et nos colonies perdues, le ministère de lord Chatam élevant sur nos ruines la grandeur de son pays ; le crédit de la nation britannique fondé par une longue série de succès ; le nôtre détruit par les extorsions des traitans et les extravagances du système de Law ; le peuple anglais, heureux et fier de son gouvernement, s’attachant à lui de plus en plus, et se livrant au travail avec confiance, sous la protection de ses lois et de ses