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bien vite ce qu’elle est chez nos voisins, c’est-à-dire le double de son taux actuel. Or doublez la rente, et même sans rien changer à la constitution actuelle de la propriété, beaucoup de nos propriétaires malaisés deviennent par ce seul fait de riches propriétaires ; l’équivalent complet de la gentry anglaise se trouve constitué immédiatement.

Il y a d’ailleurs deux espèces de propriétés : l’immobilière, qu’on appelle en Angleterre la propriété réelle, real property, et la mobilière, qu’on appelle la propriété personnelle, personal propetly. On évalue le revenu de la propriété réelle, pour les trois royaumes, à 120 millions sterling ou 3 milliards de francs. La terre proprement dite n’y figure que pour la moitié ; le reste est représenté par les propriétés bâties, les mines, les carrières, les canaux, les rail-ways, les pêcheries, etc. Les maisons seules valent presque autant que la terre elle-même. Dans la Grande-Bretagne, le revenu de la terre étant de 46 millions sterling, celui des maisons est de 40. Le revenu de la propriété mobilière peut être en même temps évalué à 80 millions sterling ou 2 milliards de francs, déduction faite du revenu des créances hypothécaires, qui fait double emploi avec celui des propriétés hypothéquées. Il s’ensuit que la rente de la terre, si élevée relativement, ne forme pas même le tiers du revenu des propriétaires anglais.

On voit maintenant pourquoi ils sont en moyenne plus riches que les nôtres. D’abord ils sont beaucoup moins nombreux proportionnellement, et il y a quelque chose de vrai, quoique fort exagéré, dans les idées répandues à cet égard ; ensuite, et c’est là la plus forte raison, ils ont à se partager une masse de revenu beaucoup plus grande. Chez nous, la rente de la terre, déjà moindre proportionnellement que la rente de la terre anglaise, est égale à la moitié du revenu total, tant mobilier qu’immobilier. Pour peu que les autres valeurs se distribuent dans d’autres mains, il en reste très peu pour les propriétaires du sol. En Angleterre au contraire, il y a peu de propriétaires ruraux qui ne joignent à leur revenu en terre un autre revenu souvent égal, souvent supérieur, en maisons, actions de chemins de fer, rentes sur l’état, etc. Beaucoup d’entre eux possédaient des houillères ; l’extraction du charbon leur a rapporté et leur rapporte tous les jours des sommes immenses. D’autres avaient des terrains où l’on a construit des usines, des quartiers de villes, des canaux, des chemins de fer ; ils ont profité de la plus-value. Tout le monde sait que lord Westminster, le duc de Bedford et quelques autres, sont propriétaires d’une grande partie du sol de Londres, loué par bail emphytéotique. Il en est de même dans presque toutes les villes anglaises. Depuis 1800, 1,500,000 maisons nouvelles ont été construites dans la seule Angleterre, 10,000 kilomètres de chemins de fer ont été ouverts, un nombre énorme de mines de charbon