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complètement les droits perçus à l’entrée des denrées alimentaires, et ce qui est plus admirable encore que cette résolution, c’est qu’il se soit trouvé dans les deux chambres, composées en très grande partie de propriétaires ruraux, une majorité pour la transformer en loi. Jamais parlement anglais n’avait donné plus grande preuve d’intelligence politique.

La perturbation causée par cette réforme a été grande sans doute, mais elle n’est rien à côté des catastrophes qu’on a évitées. L’intensité du besoin qu’où en avait s’est manifestée immédiatement par les immenses quantités de grains et farines importées, et qui s’élèvent, pour la seule année 1849, à 13 millions d’hectolitres de froment, 6 de maïs, 4 d’orge, 4 d’avoine, 3 de farine de froment, etc., sans compter le beurre, le fromage, la viande, le lard, les volailles, et jusqu’à 4 millions de douzaines d’œufs. Par là seulement l’Angleterre a pu échapper à la disette qui la menaçait et dont il a été impossible de préserver l’Irlande. Pour l’avenir, l’approvisionnement est assuré, puisque le consommateur anglais a le monde entier pour pourvoyeur. Le prix des denrées alimentaires a baissé en moyenne de 20 pour 100, et on est garanti autant que possible contre toute hausse par la libre importation. De cette façon, sans qu’il ait été nécessaire d’augmenter le taux nominal des salaires, le bien-être des classes inférieures s’est accru d’un cinquième, et l’exportation, qui fait la fortune de l’Angleterre, étant restée florissante, la demande de main-d’œuvre s’est encore accrue, le nombre des pauvres qui reçoivent des secours publics a diminué.

Un seul intérêt paraissait devoir souffrir de cette crise, l’intérêt de la culture et de la propriété rurale. Des réclamations bruyantes n’ont pas manqué de s’élever de ce côté, et ont mis en doute pendant quelque temps l’avenir de la réforme douanière. Aujourd’hui la question est résolue, et la réforme est désormais acceptée par ceux-là même qui l’avaient combattue avec le plus d’acharnement. On s’est mieux rendu compte de ses effets, et les exagérations du premier moment ont disparu.

D’abord on a vu que l’agriculture proprement dite était moins en cause que le revenu de la propriété. Le haut prix des denrées sert avant tout à l’élévation de la rente, et pourvu que la rente baisse en proportion de la baisse des prix, le cultivateur proprement dit est à peu près désintéressé. Cette simple distinction a suffi pour séparer l’intérêt des fermiers de celui des propriétaires. Abaissez vos rentes ! criait-on de toutes parts à la propriété, et la culture n’aura pas à souffrir. L’argument était d’autant plus puissant que depuis cinquante ans la hausse des prix avait surtout profité aux rentes, et que, même après une réduction notable, elles devaient se trouver encore