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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/283

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supériorité : nous sommes seuls à la méconnaître, car, dans les autres pays, on recherche, on étudie ces estampes auxquelles nous n’accordons ici qu’un regard distrait, et il n’est pas jusqu’aux Américains, oracles peu sûrs d’ordinaire en matière d’art, qui ne nous donnent à ce sujet une leçon d’équité et de goût. Que l’on rapproche des estampes gravées sous l’empire et au temps de la restauration celles qui ont été publiées à partir du dernier règne jusqu’à l’époque où nous sommes, on verra que, durant cette période et dans les circonstances les plus contraires, la gravure a atteint un degré de perfection que n’avaient pu lui donner les encouragemens de toute espèce prodigués au commencement du siècle. Quelle pauvre mine feraient aujourd’hui le grand ouvrage sur l’Égypte, les planches du Musée Filhol et la plupart des planches du Musée Laurent en regard de ce qui a été gravé depuis lors d’après des modèles analogues !

D’où vient donc qu’un art si loin encore de sa décadence ne puisse réussir à vaincre nos préventions, et que tant de témoignages de talent passent en quelque sorte inaperçus ? La confusion introduite dans nos idées par la découverte de certains procédés mécaniques, d’ailleurs fort étrangers à la gravure, est sans doute une des causes de cette insouciance. On pourrait l’attribuer aussi à l’esthétique frivole que nous avons progressivement adoptée, à l’influence d’habitudes qui ont fini par déterminer complètement nos jugemens et nos goûts. D’une part, l’application indiscrète du daguerréotype à des objets qu’il n’appartient qu’à l’art d’interpréter a substitué le culte de l’identité inerte au respect de l’imitation intelligente ; de l’autre, le spectacle de l’art facile nous a désaccoutumés des travaux sérieux. Ici l’à-peu-près nous amuse et nous suffit, et de même que beaucoup de gens se contentent pour toute nourriture littéraire de vaudevilles et de feuilletons, beaucoup de prétendus amis des arts cherchent et trouvent la réalisation de leur modeste idéal dans des vignettes ou dans des recueils de lithographies.

Les tendances générales de la nouvelle école de peinture ne sauraient, il faut bien le dire, nous ramener au culte de l’art sévère et en particulier à l’étude des œuvres du burin. Les conditions de la peinture telles qu’on semble les comprendre maintenant ne sont-elles pas ouvertement en contradiction avec les conditions essentielles de la gravure ? La gravure, sans procéder exclusivement de la ligne comme la sculpture, a cependant pour élément principal l’imitation précise de la forme. Or un dessin inachevé et flottant est devenu à nos yeux une des expressions du talent pittoresque, ou tout au moins la plus excusable des imperfections. Nous faisons bon marché de l’incorrection des contours et du modelé pour priser avant tout dans un tableau l’éclat des tons et les tours d’adresse de la brosse : le moyen de concilier de pareilles inclinations avec le goût pour un art où l’escamotage de la forme est impossible, où tout est forcément accusé et rigoureusement écrit ? Aussi qu’arrive-t-il ? C’est que le plus souvent les graveurs se trouvent contraints de chercher leurs modèles ailleurs que parmi les tableaux contemporains. Sauf M. Ingres, M. Scheffer et surtout M. Delaroche, dont les œuvres ont le privilège d’occuper sans relâche le burin, il n’est aucun peintre de l’école moderne qui voie ses compositions habituellement reproduites par la gravure. M. Horace Vernet, il est vrai, n’improvise pas la moindre esquisse