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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/289

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temps d’œuvres et de réputations faciles, il est bien de n’ambitionner que l’estime due aux longs efforts et aux études opiniâtres, et l’artiste assez convaincu pour consacrer dix années de sa vie à un travail que les suffrages de la foule ne récompenseront pas mérite au moins qu’on honore son courage, si l’on ne peut applaudir qu’avec réserve à ses succès.

Parmi les ouvrages qui résument le mieux l’état actuel de la gravure en France, et à côté de la planche de M. Prévost, il faut citer une suite d’estampes gravées par divers artistes d’après les Vierges de Raphaël[1], non, certes, que l’analogie soit grande entre le caractère de ces deux publications et que leur mérite soit équivalent, mais parce qu’elles attestent l’une et l’autre le même respect pour les grands maîtres anciens, le même éloignement pour les goûts du moment et le style des œuvres à la mode. Où trouver d’ailleurs dans l’école italienne des modèles plus dissemblables et plus inégalement appropriés aux conditions de la gravure ? Les Noces de Cana semblent défier le burin ; les Vierges, au contraire, ne l’encouragent et ne l’invitent-elles pas ? On conçoit donc, sans pourtant les absoudre tout à fait, ces habitudes d’école que nous signalions tout à l’heure et cette persistance de nos graveurs à reproduire des tableaux déjà gravés nombre de fois. Silhouettes exquises, modelé d’une finesse achevée, grâce et profondeur d’expression, tout ce qui relève essentiellement du dessin constitue la beauté intime de ces chefs-d’œuvre, et peut par conséquent se retrouver dans une traduction gravée bien mieux que ce qui procède du coloris. Il ne suit pas de là que tout graveur doive aisément réussir en travaillant d’après Raphaël. La perfection d’un tel modèle impose au contraire, à quiconque entreprend de le copier une fidélité d’autant plus rigoureuse, des devoirs d’autant plus précis, et les ruses de la pratique, la science des sacrifices, les moyens d’effets violens deviennent ici des secours à peu près inutiles, sinon même de dangereuses ressources.

Les auteurs de la publication nouvelle se sont écartés quelquefois de ces devoirs et de cette réserve. Plusieurs de leurs planches ont une exagération de ton propre peut-être à faciliter le tirage et à multiplier les épreuves, mais assurément peu conforme à l’aspect si doux, si harmonieux, des peintures du maître. L’exemple donné en ce sens, il y a quelques années, par M. Forster dans sa Vierge de la maison d’Orléans et dans son portrait de Raphaël a été malheureusement suivi par les graveurs des Vierges, et en particulier par M. Pelée dans sa planche de la Madone à la Chaise. Rien de plus suave que l’ensemble du tableau : pourquoi le graveur en a-t-il altéré l’unité par la vigueur excessive des parties privées de lumière et l’âpreté de certains tons. Ainsi le fond, la draperie jetée sur les épaules de la Vierge et celle que l’on voit entre le dossier de la chaise et les pieds de l’enfant sont d’une qualité de couleur noire et dure qui serait de mise tout au plus dans une gravure de la Transfiguration, mais qui messied absolument à la reproduction d’une scène toute de grâce et de tendresse. M. Lévy, dans sa planche de la Vierge aux Candélabres, ne mériterait pas de semblables reproches, si l’ombre dont il a enveloppé les deux auges était moins opaque, et si l’exécution de ces deux figures avait moins de sécheresse. L’estampe qu’il a gravée en société

  1. Paris, chez Furne et Perrotin, rue de la Fontaine-Molière, 41.