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la nature et du ciel de l’Italie. On facilite, il est vrai, par des secours d’argent la publication de quelques grands ouvrages à figures ; mais l’administration ne remplit ainsi que le rôle d’un souscripteur plus libéral que les autres, et ne donne qu’une impulsion de seconde main à des entreprises dont elle se réservait autrefois la pensée et l’exécution tout entières. C’est aux éditeurs de profession qu’elle abandonne presque toujours le soin de publier les estampes, même les plus importantes, et l’esprit de spéculation tend à se substituer ainsi à sa haute influence. Combien de planches d’histoire éditées de nos jours aux frais de l’état sont venues s’ajouter aux quatre mille cuivres que possède la calcographie des Musées ; et qu’aura-t-on fait pour enrichir d’œuvres modernes ce trésor des œuvres gravées jadis par ordre des souverains qui se sont succédé en France ?

Il ne faut voir toutefois dans ce mode de protection un peu froide rien de plus qu’une cause accessoire, du mal, et l’on aurait grand tort d’attribuer à l’intervention administrative une puissance de guérison qu’en somme elle ne possède pas. Ce qui fait le mal avant tout, c’est notre propre indifférence ; ce qui le rend irrémédiable peut-être, c’est le mouvement de nos idées et de nos goûts. L’époque actuelle, féconde en perfectionnemens industriels, et, dans le domaine de l’art, en talens faciles, ne peut s’intéresser à des travaux qui démentent à la fois l’autorité des progrès mécaniques et le prix d’une habileté superficielle. Las de voir l’admiration dévier et se porter sur des objets secondaires, peut-être les graveurs en taille-douce renonceront-ils à protester contre des erreurs universellement partagées, et finiront-ils par succomber dans la lutte où ils sont engagés aujourd’hui. Si la gravure au burin est en effet condamnée à devenir incompatible avec nos mœurs, reconnaissons au moins qu’elle aura péri avant d’être tombée en décadence. Il est donc juste d’honorer pleinement les talens qui vivifient encore notre école, les hommes qui, même à présent, continuent ses nobles traditions, dussions-nous saluer en eux les derniers représentans d’un art qui serait relégué bientôt à côté d’autres témoignages du passé et d’autres souvenirs de gloire.

Rassurons-nous cependant. Il n’en peut être jamais de la gravure comme de la peinture sur verre, de la peinture sur émail ou en mosaïque et d’autres procédés aujourd’hui hors d’usage. La marche des siècles les a anéantis parce qu’ils ne satisfaisaient plus, soit aux exigences mobiles de la mode, soit aux progrès de la civilisation. Chaque recette de fabrication une fois perdue, ce n’était pas, à vrai dire, un art qui disparaissait de l’ensemble des connaissances humaines, c’était un moyen matériel abandonné pour des moyens meilleurs ou tout au moins équivalens. La gravure ne saurait être assimilée à des procédés de ce genre. Son existence ne dépend ni d’un secret bien ou mal transmis, ni d’innovations introduites dans les formes du travail. Quoi qu’il arrive, elle n’a pas plus à craindre les découvertes mécaniques à venir que les découvertes déjà faites. La gravure répond à un besoin éternel de l’intelligence, et non aux besoins passagers d’une époque ; elle est sûre de vivre, en dépit de notre injustice actuelle et de nos entraînemens, parce que, du jour où on la supprimerait, il faillirait, pour être logique jusqu’au bout, supprimer aussi la peinture et la statuaire, et remplacer les œuvres de l’une par celles du daguerréotype, les œuvres de l’autre par celles du mouleur. Le