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I

Cela étant, il n’est pas étonnant que les peuples latins suivent d’un œil inquiet et jaloux ce mouvement qui les menace, et qu’ils accueillent souvent avec une crédulité plus empressée que sage tout ce qui leur parait être ou assez fort pour arrêter le torrent, ou capable, en divisant ses flots, d’amoindrir sa puissance. Quelles illusions, par exemple, ne se sont-ils pas faites à propos de la navigation à vapeur, qui devait, dans la croyance populaire, fournir les armes si longtemps cherchées contre la suprématie maritime de l’Angleterre, et qui, loin de là, ne semble avoir encore eu d’autre résultat certain que de la consacrer ? Parmi tous les mérites imaginaires que l’on attribue à la protection commerciale, en est-il un plus vanté et qui rallie à la cause de la protection plus de partisans que le mérite de figurer comme une digue opposée aux envahissemens de l’industrie anglaise, et de soustraire ceux qui cultivent cette théorie de l’impuissance au tribut que nous serions forcés de payer aux manufactures de l’étranger, si nous n’étions pas protégés par l’élévation de nos tarifs ? C’est ainsi que cela se dit et s’explique tous les jours : la France sera sauvée par ses tarifs, mais non pas par le génie, par la persévérance et par le travail de ses enfans. De même, et c’est là surtout que nous en voulons venir, c’est encore en cherchant hors de nous-mêmes, que certains politiques, et le nombre en est grand, espèrent trouver un moyen non pas de faire face au merveilleux développement de la race anglo-saxonne, mais de contrarier, de retarder, d’annuler même ses progrès les uns par les autres. La rivalité qui règne entre l’Angleterre et les États-Unis est un fait que l’on compte exploiter un jour, et sur lequel on bâtit des systèmes et des hypothèses qui doivent conduire à la restauration de l’équilibre, aujourd’hui menacé dans le monde.

Quoiqu’il fût sans doute plus glorieux de trouver en nous-mêmes les moyens d’arriver à ce résultat si désirable, cette dernière idée n’est pas de celles que l’on puisse traiter avec dédain. S’il faut en juger par les apparences, elle semble même avoir beaucoup de chances de se réaliser. Quand on songe en effet que depuis 1815 l’Europe, malgré toutes les révolutions qu’elle a subies, ne s’est encore vue qu’une seule fois menacée sérieusement de la guerre, et que, dans le même espace de temps, la question des frontières du Maine, l’insurrection du Canada, l’Orégon et dix autres sujets de querelle ont pu faire croire autant de fois à l’imminence d’une collision entre l’Angleterre et les États-Unis, on ne peut traiter de rêveurs