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solidarité morale qui contrebalance souvent les inspirations d’un patriotisme exclusif, il y a le sentiment commun aux deux peuples de la supériorité absolue de la race à laquelle ils appartiennent Vous ne lirez pas un discours un peu développé au parlement ou au congrès, vous n’ouvrirez pas un livre, une brochure consacrée à la politique générale, où vous ne voyiez cet orgueilleux sentiment développé à plaisir jusque dans les plus violens emportemens des uns ou des autres. Le livre de M. Squier, par exemple, qui nous inspire ces réflexions, n’est, à un certain point de vue, qu’un faction très passionné contre l’Angleterre ; mais lorsqu’il échappe à la discussion de ses griefs particuliers contre le gouvernement anglais, lorsqu’il étudie les causes qui ont rendu si misérables les républiques de l’Amérique espagnole et d’autres pays, lorsqu’il essaie de prouver comment cette forme de gouvernement a fait et fera la gloire et la grandeur des États-Unis, alors la fierté anglo-saxonne, l’orgueil instinctif de la race se réveille ; vis-à-vis de l’étranger, ce n’est plus de 1783 et de Washington ou de Franklin qu’il date l’histoire de sa patrie, c’est aux premières années du XIIIe siècle qu’il remonte, jusqu’à Runnymede, jusqu’à la convocation des grands-barons, et à ses yeux la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 n’est qu’une conséquence naturelle de la grande charte. C’est ainsi que vous les trouverez longtemps encore, Anglais et Américains, rivaux, mais non pas armés les uns contre les autres. Souvenez-vous des paroles échappées au roi Jacques II, lorsque, des hauteurs du cap La Hogue, il voyait périr les vaisseaux de Tourville, la dernière espérance pour lui de reconquérir sa couronne : « Mes braves Anglais se battent bien ! » s’écria-t-il. Ceux qui venaient, avec quarante-quatre vaisseaux, d’aller audacieusement chercher quatre-vingt-huit vaisseaux ennemis, pour leur livrer une des plus héroïques batailles dont l’histoire fasse mention, ceux-là n’avaient aucune part à l’admiration du monarque anglais ; ceux qui venaient de verser leur sang pour sa cause le voyaient applaudir à leurs revers : chez lui, l’orgueil de la race avait effacé jusqu’au sentiment de sa gloire personnelle et de sa fortune, à jamais renversée.


II

Je ne me dissimule pas qu’une affirmation si positive pourra paraître présomptueuse, surtout au lendemain du 4 mars 1853, du jour où le parti démocratique a repris solennellement possession du pouvoir aux États-Unis. Je crois cependant qu’elle est juste, en dépit des orages qui signaleront très probablement la carrière présidentielle