Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE POÈTE


Adieu. Reste, ô berger, dans l’erreur qui l’est douce :
L’ignorance est un lit plus tendre que la mousse ;
Reste au bord de cette onde, à voir tes prés fleurir,
À vivre sans penser, pour vivre sans souffrir.

LE PATRE


Ami, qu’un Dieu propice à ma voix le délivre
Du démon qui t’a dit : Reste à rêver sans vivre !

LE POÈTE


Ah ! puissé-je abdiquer, au sein de quelque fleur,
De ce cœur importun la vie et la chaleur !
Pour la sève paisible en ces chênes dormante
Que j’échangerais bien l’âme qui me tourmente,
Que je voudrais jeter tout mon être à ce vent !
Je souffre, ami, tu vois que je suis bien vivant.

LE PATRE


Tu souffres d’un corps faible et d’une âme impuissante ;
Ce mal, dont tu te plains, c’est la vigueur absente.
Je le vois dans tes yeux, sur ton front sans couleur,
C’est un fruit de l’orgueil que la lâche douleur.
Abdique ta mollesse et ces larmes superbes ;
Il est temps d’amasser quelques solides gerbes,
O rêveur : sors enfin de ton sommeil fatal !…
Mais tu ne peux guérir, car tu chéris ton mal.


VICTOR DE LAPRADE.