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davantage pour lire dans la différence des origines, des causes, des antécédens des deux révolutions, la différence qui éclate encore aujourd’hui dans leurs résultats les plus actuels et marque d’un signe particulier la situation intérieure de chacun des deux pays.

Qu’on suive M. Macaulay dans son récit : la révolution anglaise, il est aisé de le voir, a été surtout une révolution politique. C’est dans un intérêt politique que se sont livrées toutes ces batailles qui remplissent le XVIIe" siècle. De quoi s’agissait-il en effet ? L’éternelle question, c’était de fixer les limites de l’autorité royale et de faire reconnaître les prérogatives du parlement. Quels sont les principes dont l’application est obstinément poursuivie à travers toutes les crises ? Ce sont les principes mêmes de la constitution anglaise, qui font corps en quelque sorte avec le pays : participation du parlement à l’action législative, droit de consentir et de voter les taxes, garantie de la permanence et de l’observation des fois rendue plus effective par la responsabilité des conseillers et des agens du pouvoir royal. C’est là ce qui se dégage de toutes les luttes parlementaires comme de toutes les guerres civiles et ce qui leur survit, pour être encore aujourd’hui, ainsi que le dit M. Macaulay, la raison d’être de l’ordre de choses actuel. Encore après la restauration, lorsque le pouvoir de Cromwell est passé sur l’Angleterre et que la destinée nationale a repris un cours plus normal, quelles sont les grandes victoires, celles qui marquent les jours mémorables de la nation anglaise ? Ce sont des victoires toutes politiques, celle de l’habeas corpus par exemple. Et quand vient le mouvement de 1688, après une lutte acharnée contre les tentatives ou les préméditations usurpatrices de Jacques II, la déclaration des droits, qui est encore la loi de l’Angleterre, ne fait que résumer et consacrer d’une manière définitive toutes ces choses, disputées depuis plus d’un demi-siècle : le droit de libre discussion dans le parlement, le droit de voter l’impôt, l’intervention du pays dans ses propres affaires, l’abolition du droit de dispense, dont le pouvoir royal s’était parfois servi pour annuler systématiquement l’action des fois pénales. Dans ces grandes luttes de l’Angleterre, il y a sans doute bien d’autres élémens. L’intérêt religieux tient une large place ; mais il se mêle et se plie si souvent à l’intérêt politique, qu’il se confond avec lui. L’église anglicane elle-même, après tout, qu’a-t-elle été autre chose - à son origine et depuis - qu’une grande institution politique ? Qu’en résulte-t-il ? C’est que la révolution anglaise a eu surtout ses conséquences dans l’ordre politique. Elle n’a point eu pour effet de niveler les rangs, de changer les conditions de la propriété, de détruire les hiérarchies sociales, de tout ramener à l’unité démocratique ; elle a fondé, en les appuyant au contraire à une aristocratie puissante, ces institutions que nous voyons, cette liberté garantie par les prérogatives individuelles et locales. Et comme la liberté politique était dans les traditions, dans le caractère, dans les vœux du peuple anglais, il s’est formé lentement à toutes les vertus qui la rendent efficace et durable. Rien n’est plus curieux et plus remarquable que ce profond travail de la société anglaise, tel qu’il se dévoile encore une fois dans le livre de M. Macaulay. On y peut apprendre, et ce n’est point un inutile spectacle, ce que la liberté coûte de peines, d’efforts, de temps, de constance, comment elle se perd par momens, à quel prix elle se retrouve.