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de ses Souvenirs de voyages et d’études. M. Saint-Marc Girardin va aisément dans ses études, de l’Orient à l’Occident, de l’analyse du Roman du Renard à celle de la chronique d’Hamlet, du philosophe allemand Gans au moraliste français Joubert, du monde actuel au monde à venir ; c’est sa vie de professeur, d’écrivain, de journaliste reproduite dans sa variété et avec un fonds moral qui ne change pas. Nul ne caractérise mieux que M. Saint-Marc Girardin dans quelques pages ingénieuses d’introduction, ce privilège des esprits libres et fermes dont nous parlions, — privilège qui consiste, non point à se faire le stoïque et amer contempteur des choses auxquelles on n’a point de part, mais à ne point se désespérer et à ne pas fléchir sous les déceptions, parce qu’on n’a point eu d’illusions top vives. S’attacher à des opinions quand la faveur publique les entoure, il ne faut pas un grand héroïsme pour cela ; avouer pour elles ses vieilles préférences quand elles sont délaissées, c’est là le plus difficile. Il y a bien des hommes, dit spirituellement l’auteur des Souvenirs de voyages, qui ont peur d’être seuls avec leur passé, comme on a peur le soir dans une église abandonnée. M. Saint-Marc Girardin est un esprit fort ; il n’a pas peur d’être seul, — à la condition, il s’entend, de ne point cesser pour cela de se mêler à son époque, de s’intéresser à toutes les luttes de l’esprit et de l’éloquence littéraire, de trouver au besoin dans tout ce qui se produit et s’agite l’aliment d’études nouvelles, et de ne point craindre même de demander aux événemens ces lumières invincibles qui peuvent aider à faire graduellement renaître l’empire de cette force morale dont l’auteur parle avec un sentiment si juste et si vrai.

C’est un grand problème, après tout, dans le monde de l’intelligence que de savoir suivre son temps sans lui céder, d’avouer d’où l’on date sans vieillir, et de réussir à posséder cet attrait durable qui s’attache aux œuvres de l’esprit, parce que la finesse de l’observation, la rectitude morale, le style élégant et ingénieux, ne vieillissent pas. Ils n’ont pas de date ; ils ne sont d’aucun temps, parce qu’ils sont de tous les temps. Le pire, c’est la vieille mode qui s’obstine et prétend à la nouveauté, c’est l’inspiration usée qui s’attarde ; le pire encore, c’est le simulacre de la jeunesse placé sur les choses qui ont épuisé et lassé le goût public. Il y a malheureusement de notre temps une école qui a le culte des innovations de 1829, et qui imagine atteindre à une originalité imprévue. Elle n’est pas toute la littérature contemporaine, mais il s’en faut de peu vraiment ! Elle est la jeunesse ! — oui, la jeunesse d’il y a vingt ans. Ce sont les mêmes goûts, les mêmes recherches, les mêmes affectations, les mêmes inspirations. Qu’est-ce donc que ce suicidé dont M. Maxime Ducamp publie les Mémoires sous le titre de Livres posthume, si ce n’est un héros à l’image et à la ressemblance de tous ceux de l’école moderne d’autrefois ? Ce personnage dont l’auteur retrace l’histoire a certainement sa place dans cette famille d’esprits violens et malades, ennuyés de la vie et d’eux-mêmes, égoïstes et désespérés, ambitieux et pénétrés de leur impuissance, cherchant partout leur place et ne la trouvant jamais selon leurs passions, — que la poésie byronienne a si singulièrement contribué à multiplier. M. Maxime Ducamp ne nous semble guère avoir ajouté à la nouveauté de cette donnée qu’en la compliquant de raisonnemens assez quintessenciés sur la transmigration des âmes. De quelque manière qu’on juge moralement