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se trouva, par suite des agitations ainsi provoquées, constitué en état de guerre ouverte contre un parti dont le concours est si précieux pour maintenir aux intérêts moraux une prépondérance durable. Le pouvoir avait vaincu, il était assuré de vaincre toujours : chacune de ses victoires seulement le séparait des forces dont il avait un indispensable besoin.

C’était donc moralement affaibli par sa lutte contre le parti légitimiste, par les coups même dont il l’avait frappé, que le gouvernement du roi Louis-Philippe poursuivait contre le parti républicain une guerre dont l’issue put être réputée un moment plus incertaine encore sous le ministère du 11 octobre qu’elle ne l’avait été trois années auparavant, sous celui du 13 mars. Si la situation des gouvernemens s’était en effet raffermie en Europe, grâce à l’attitude modérée de la France, cette attitude si obstinément pacifique avait donné à l’opinion républicaine des auxiliaires nombreux, de nouveaux et de plus dangereux griefs à exploiter. La chute de la Pologne, le relus des propositions belges, l’abandon de l’Italie, le désarmement de ses réfugiés, les obstacles opposés par la police française à toutes les tentatives insurrectionnelles tramées par ceux-ci, ces faits, tout conformes qu’ils fussent d’ailleurs et aux plus stricts devoirs de la France et à ses véritables intérêts, avaient exercé sur les imaginations une fascination redoutable. Une presse déchaînée traduisait chaque matin la prudence en trahison et le respect du droit des gens en désaveu de nos doctrines. Une pareille marche, suivie par un gouvernement issu d’une révolution, semblait le constituer en plein désaccord avec son principe, et rencontrait dans le vieil esprit militaire du pays et dans ses traditions héroïques des résistances qui plus d’une fois furent réputées invincibles. La terre des croisades et de la chevalerie, des soldats de la république et de l’empire, n’entendait pas déclarer sans une sorte de frémissement que le sang français n’appartient qu’à la France, maxime incontestable cependant, lorsque le scepticisme a substitué partout les intérêts aux croyances, le calcul au dévouement, et qu’aucune cause extérieure n’est d’ailleurs assez légitime, assez pure pour s’imposer aux consciences et justifier la rupture volontaire et réfléchie de la paix du monde.

Cet égoïsme d’un gouvernement forcé de concentrer son action dans la sphère de ses devoirs positifs suscitait en France, au sortir de la crise de 1830, des émotions et des colères dont la révolution de 1848 n’a laissé arriver jusqu’à nous que des échos fort amortis. Les rêveurs aspirant à renouveler la face de la terre et à supprimer la loi mystérieuse et fatale de ce monde, la souffrance, étaient bien alors aussi nombreux qu’ils ont pu l’être depuis, peut-être même