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et par ceux qui la doivent à leurs propres efforts, rouvrir les sources taries du dévouement en enseignant aux partis la stérilité de la rancune et la puissance du sacrifice, — tel est le travail régénérateur auquel les longues déceptions du passé nous convient pour l’avenir.

En hasardant quelques observations critiques sur certaines institutions de la dernière monarchie, Dieu me garde toutefois de prétendre expliquer une catastrophe qui se comprend d’autant moins qu’on a pu la contempler de plus près : chute mystérieuse, dans laquelle fut à l’instant entraîné, comme pour constater authentiquement la vanité de ses efforts, le parti républicain, au nom duquel était tombée cette royauté si pleine de vie et de confiance ! Imaginez les plus invraisemblables entre toutes les choses humaines : un roi sage et courageux saisi d’une défaillance soudaine, ses ministres regardant immobiles le flot qui va les engloutir ; des généraux trempés au feu de cent batailles hésitant devant les clameurs de quelques groupes ; une armée nombreuse, dont les fusils ne partent pas d’eux-mêmes devant le sang des siens criant vengeance ; une ville immense prise par quelques bandes, qui acclame ce qu’on lui dit d’acclamer, renverse ce qu’on lui dit de renverser, qui fait enfin devant une faction qu’elle anéantirait dans une seule étreinte ce qu’elle refuserait de faire devant l’ennemi entrant mèche allumée dans ses murs ; imaginez à plaisir tout cela, et vous n’en comprendrez pas davantage cette ruine profonde, du sein de laquelle sortent, comme des fantômes, à l’ébahissement du grand peuple qui les subit, les idées les plus oubliées et les hommes les plus inconnus. La révolution de février et ses conséquences contradictoires ne sont issues ni de la logique des faits ni de celle des idées ; elles se sont imposées par une force surhumaine, obscure encore quant à son résultat définitif, mais saisissante et manifeste dans son action irrésistible. Depuis cette heure-là, le cours naturel des événemens a été comme suspendu. La France a marché de surprise en surprise, de fatalité en fatalité, et ses destinées ont été livrées à une puissance supérieure qui se complaît à déjouer tous les calculs de notre prudence, tout l’orgueil de notre raison. Jamais l’intelligence politique, si longtemps confiante dans ses plans et ses combinaisons, ne subit de déception plus amère et plus complète. Rejetée violemment de l’ordre rationnel dans l’ordre providentiel, la fiance est entrée en 1848 dans une de ces grandes périodes où l’on a bien moins à agir qu’à contempler, et durant lesquelles Dieu, prenant lui-même en main ce gouvernement des choses humaines qu’il semble parfois nous déléguer, se complaît à faire éclater son initiative suprême, en nous contraignant à confesser qu’en lui seul résident toute sagesse, toute grandeur et toute puissance.


LOUIS DE CARNE.