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réalité et de toute expérience ? Car enfin l’idée de Dieu, c’est l’idée de l’être qui renferme toutes les perfections. Or l’existence nécessaire est une perfection ; si donc on a le droit d’affirmer d’une chose tout ce qui est contenu dans son idée, et si l’existence est comprise dans l’idée de Dieu, il faut conclure que Dieu existe, par la seule nécessité de son idée. La preuve est géométrique.

Il faut voir la satisfaction de Descartes quand il fait ressortir la simplicité parfaite et l’apparente rigueur de ce raisonnement. Bien que sa joie ne s’exprime pas avec cette effusion de mysticité propre à saint Anselme, c’est toujours dans le logicien du XIe siècle comme dans le mathématicien du XVIIe, c’est le triomphe de l’esprit géométrique se complaisant en ses libres créations dans les régions spacieuses de l’entendement pur.

Et cependant il est certain que cette preuve n’a pu tenir contre la dialectique de Kant. L’auteur de la Critique de la raison pure a parfaitement bien vu que le propre de l’argument cartésien, c’est d’être purement logique, de ne reposer que sur l’abstraction. Or il démontre avec une force incomparable qu’une philosophie qui veut emprunter ses procédés aux mathématiques renonce à la nature et à la vie, et que jamais d’une abstraction la logique la plus subtile ne fera sortir un atome de réalité.

Vous déduisez, dit-il à ces géomètres, l’existence de Dieu de son idée ; mais qu’est-ce que cette idée ? Admettez-vous qu’en fait, on ne peut pas concevoir Dieu sans le concevoir comme réel ? Alors le syllogisme est inutile. Il n’y a pas à raisonner, il faut dire que l’existence de Dieu est une vérité évidente par elle-même. Prenez-vous l’idée de Dieu comme une pure supposition, comme une pure abstraction ? Soit ; mais alors vous aurez beau raisonner et géométriser, vous ne tirerez par l’analyse de cette abstraction que ce que vous y aurez mis. Or, si vous faites entrer dans votre hypothèse l’existence réelle de Dieu, il n’est pas merveilleux que vous l’y retrouviez, et cela s’appelle supposer ce qui est en question. Si vous ne l’y mettez pas, si vous partez vraiment d’une abstraction ou d’une hypothèse, l’analyse n’en fera sortir qu’une existence hypothétique et abstraite que vous ne transformerez en existence réelle que par le plus flagrant des paralogismes.

Cette argumentation est péremptoire. Elle a paru telle aux plus éminens esprits de notre temps[1], et M. de Rémusat, défenseur naturel de saint Anselme, a la sagesse de l’abandonner sur ce point. À

  1. Voyez en particulier l’opinion de Royer-Collard sur l’argument cartésien dans ses Fragmens recueillis par M. Jouffroy, tome III des Œuvres de Reid, page 376), et les leçons de M. Cousin sur Kant, où la question est traitée à fond. Leçon n° Vie, page 103.