Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/564

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Bartholo. — Enfin, puisque vous voilà, si vous étiez que de moi tous les deux, qu’est-ce que vous diriez ?

Figaro. — Si nous étions que de vous, docteur, il est clair que nous ne saurions que dire.

Bartholo. — Eh ! non, non, si vous étiez moi, c’est-à-dire chargés du compliment.

Le comte. — Je me recueillerais un moment, et il me semble que je dirais à peu près : — Est-il besoin, messieurs, que je fasse ici l’apologie de notre empressement, quand je parle au nom de toute la Comédie ? et notre existence théâtrale n’appartient-elle pas à chacun de vous, quoique chacun de vous ne se prive, pour en jouir, que de la moindre partie d’un superflu qu’il destine à ses amusemens ? Pour être convaincus donc, messieurs, qu’un motif plus noble que l’intérêt nous fait souhaiter constamment de vous plaire, considérez qu’il n’y a pour nous aucun rapport entre la faible utilité du produit de chaque place et l’extrême plaisir que nous cause le plus léger applaudissement de celui qui la remplit. À ce prix, qui nous est si cher, nous supportons les dégoûts de l’étude, la surcharge de la mémoire, l’incertitude du succès, les ennuis de la redite et toutes les fatigues du plus pénible état. Notre seule affaire est de vous donner du plaisir ; toujours transportés quand nous y réussissons, nous ne changeons jamais à votre égard, quoique vous changiez quelquefois au nôtre. Et quand, malgré ses soins, quelqu’un de nous a le malheur de vous déplaire, voyez avec quel modeste silence il dévore le chagrin de vos reproches, et vous ne l’attribuerez pas à un défaut de sensibilité chez nous, dont l’unique étude est d’exercer la vôtre. En toute autre querelle, l’agresseur inquiet doit s’attendre au ressentiment qu’il provoque ; ici, l’offensé baisse les yeux avec une timidité respectueuse, et la seule arme qu’il oppose au plus dur traitement est un nouvel effort pour vous plaire et reconquérir vos suffrages. Ah ! messieurs, pour notre gloire et pour vos plaisirs, croyez que nous désirons tous être des acteurs parfaits ; mais, nous sommes forcés de l’avouer, la seule chose que nous voudrions ne jamais invoquer est malheureusement celle dont nous avons le plus souvent besoin, votre indulgence. (Il salue.)

Bartholo. — Bon, bon, bon, excellent.

Figaro. — Fi donc ! Gardez-vous bien, docteur, d’écrire tout ce qu’il vient de débiter.

Bartholo. — Et pourquoi ?

Figaro. — Cela ne vaut pas le diable.

Mlle Luzzi. — Quoi ! son discours ? Il m’a paru si bien.

Bartholo. — Je parie, moi, qu’il serait fort applaudi.

Figaro. — Oui, parce que cela claque à l’oreille, et a l’air d’être un compliment… Pas une pensée qui ne soit fausse.

Bartholo. — Jalousie d’auteur.

Le comte. — Ah ! voyons.

Figaro. — Vous préférez les applaudissemens du public au profit des places qu’il occupe au spectacle ?

Le comte. — Certainement.

Figaro. — Fort bien ; mais si chacun s’abstenait de vous apporter ici le profit