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de l’orchestre ; quand ils verront qu’on ne les écoute pas, je vous jure qu’il n’y en aura pas un qui soit tenté de rester à bavarder sur le théâtre.

Figaro. — Il a ma foi dévoilé dans un seul mot tout le secret de la comédie.

(L’orchestre joue ; ils sortent tout, et l’on baisse la toile.)


Cette petite comédie inédite — faisant suite à la comédie du Barbier — nous a paru digne d’être connue du public. Le plan en est ingénieux, et il fallait de l’adresse pour conserver ainsi à chacun des personnages du Barbier le caractère qu’il a dans la pièce, tout en le faisant parler comme acteur. On vient de voir comment Beaumarchais a résolu cette difficulté. Il allait bientôt se trouver aux prises avec une difficulté plus grande, celle de mettre à la raison ces mêmes acteurs pour lesquels il écrivait des complimens de clôture. Sa destinée voulait qu’il ne sortît d’un procès que pour tomber dans un autre, et que tout dans sa vie, jusqu’au Barbier de Séville, le plus gai des imbroglios, devînt matière à procès.


II. — QUERELLE DE BEAUMARCHAIS ET DES ACTEURS DU THÉÂTRE-FRANÇAIS. — FONDATION DE LA SOCIÉTÉ DES AUTEURS DRAMATIQUES.

Durant les trente premières représentations du Barbier de Séville, Beaumarchais vécut dans les meilleurs termes avec les acteurs de la Comédie-Française ; c’était entre eux et lui un échange de billets doux :


« Tant qu’il vous plaira, messieurs, leur écrit Beaumarchais, de donner le Barbier de Séville, je l’endurerai avec résignation. Et puissiez-vous crever de monde, car je suis l’ami de vos succès et l’amant des miens !… Si le public est content, si vous l’êtes, je le serai aussi. Je voudrais bien pouvoir en dire autant du Journal de Bouillon[1] ; mais vous aurez beau faire valoir la pièce, la jouer comme des anges, il faut vous détacher de ce suffrage ; on ne peut pas plaire à tout le monde.

« Je suis, messieurs, avec reconnaissance, votre très humble, etc. »


À ces complimens se mêlent cependant quelquefois des critiques suscitées par l’amour paternel de l’auteur pour sa pièce ; c’est ainsi que Beaumarchais écrit au secrétaire de la Comédie-Française :


« M. de Beaumarchais a l’honneur de mander à son ancien ami M. de La Porte qu’il a prié et qu’il prie la Comédie, ou de ne point donner le Barbier, ou de retrancher la scène de l’éternuement, ou d’engager M. Dugazon à ne pas abandonner ce petit rôle, qui est gai ou dégoûtant, selon qu’il est bien ou mal rendu. M. Dugazon est prié d’arranger les sublimes saillies de ce rôle, qui sont les éternuemens, de façon qu’on puisse entendre ce que dit le docteur dans cette scène, parce que ce n’est pas les pires choses qu’on lui a mises dans la bouche. »

  1. Allusion aux critiques d’une feuille à laquelle Beaumarchais répond avec détail dans la préface du Barbier.