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Il me dit : j’ai été porter votre bordereau à signer ; mais MM. les comédiens m’ont appris que votre pièce était tombée dans les règles et leur appartenait. Je fis alors, par l’autorité de M. le duc de Duras, compulser leur registre, et ils furent obligés de me rendre 5 à 600 livres qui m’étaient dues, et qu’ils voulaient s’approprier…

« Vous vous ferez, monsieur, beaucoup d’honneur d’accommoder une affaire qui doit être peu agréable à MM. les premiers gentilshommes, et qui présente différentes faces de ridicule et d’infamie.

« J’ai l’honneur d’être, avec les sentimens les plus distingués, monsieur, etc.

« Ce 19 juin 1775.
« J. Sedaine. »


Beaumarchais était donc encouragé par l’idée qu’il se ferait honneur en affranchissant les auteurs dramatiques de l’oppression qui pesait sur eux. Peut-être aussi la difficulté de l’entreprise, que presque tout le monde considérait comme chimérique, fut-elle un aiguillon pour un homme qui ne détestait pas les choses difficiles ; toujours est-il qu’après quelque hésitation il se décida à entrer en campagne contre les comédiens. Quand le Barbier de Séville eut atteint sa trente-deuxième représentation, il demanda un compte exact de ce qui lui revenait. Inquiets de cette demande, les comédiens lui députèrent l’acteur Desessarts, chargé de sonder ses intentions et de lui apporter 4,506 livres, représentant son droit d’auteur pour trente-deux représentations du Barbier.


« Aucun compte, dit Beaumarchais, n’étant joint à ces offres, je n’acceptai point l’argent, quoique M. Desessarts m’en pressât le plus poliment du monde, car on le lui avait fort recommandé. — Il va beaucoup d’objets, me dit-il, sur lesquels nous ne pouvons offrir à MM. les auteurs qu’une cote mal taillée. — Ce que je demande à la Comédie beaucoup plus que l’argent, lui répondis-je, est une cote bien taillée, un compte exact, qui puisse servir de type et de modèle à tous les décomptes futurs, et ramener la paix entre les acteurs et les auteurs. — Je vois bien, me dit-il en secouant la tête, que vous voulez ouvrir une querelle avec la Comédie. — Au contraire, monsieur, et plaise au dieu des vers que je puisse les terminer toutes à l’avantage égal des parties ! Et il remporta son argent. »


Trois jours après, Beaumarchais écrit aux comédiens pour réclamer ce compte écrit. Au bout de quinze jours, la Comédie lui envoie un simple bordereau sans signature. Beaumarchais renvoie le bordereau en demandant que quelqu’un le signe et le certifie véritable. « M. Desessarts, écrit-il, qui fut praticien public avant d’être comédien du roi, vous assurera que ma demande est raisonnable. » La Comédie répond que le compte ne peut être certifié véritable que pour le produit de la porte, que quant aux autres élémens de la recette, on ne peut lui donner de compte que par aperçu, et ici la Comédie revient sur son procédé favori : une cote mal taillée. Beaumarchais