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un des jeunes esprits de notre temps qui ont le plus de ressort et d’éclat, et qui peuvent s’appliquer le plus heureusement aux sujets en apparence les plus divers : il a écrit des pages charmantes sur le roman anglais, et il pénètre avec une sagacité singulière dans certaines époques de l’histoire d’Angleterre, démêlant de la main la plus souple et la plus habile ce tissu d’élémens parfois si compliqués et si obscurs. Dirons-nous que le sentiment des choses actuelles s’y fait encore sentir ? Comment en serait-il autrement ? Par son talent, M. Forcade est fait pour servir les grandes causes. Il a été, on le sait, l’auxiliaire de toutes les luttes contre les idées révolutionnaires dans ces dernières années ; il a fait même parfois des justices exemplaires, sous la dictée en quelque façon de l’opinion publique. Ce sont là les bonnes fortunes de ceux qui se jettent dans le tourbillon des luttes politiques ; on peut y perdre bien des choses : quand on y entre avec une intelligence saine et une âme sympathique, il y a des momens où le cri de la conscience éclate et trouve partout un écho. M. Eugène Forcade était du nombre des esprits droits que cett révolution de 1848 froissait et révoltait, non-seulement à cause des humiliations passagères de toutes les traditions conservatrices de la société, mais encore par le péril immense, redoutable, imminent, que cette révolution, faisait courir à la liberté, — la liberté, que l’auteur des Études historiques appelle la patrie morale des générations grandies avec elle et par elle, et qui a bien, elle aussi, comme il le dit spirituellement, ses frontières naturelles. Une révolution, c’est l’invasion dans cette patrie morale avec toutes ses conséquences, et le moins qui puisse lui arriver, c’est d’être singulièrement restreinte. Qu’en résulte-t-il ? c’est qu’il faut faire de l’histoire et de la littérature. On ne dirige pas les révolutions ; elles vont toutes seules à leur but, et quand elles se sont dénouées, comme il était dans leur nature de finir, il ne reste plus pour les esprits justes qu’à chercher un aliment nouveau dans l’étude, à apprendre comment on se garde des découragemens trop profonds et des illusions trop vives. Que M. Forcade multiplie les portraits comme celui de lord Bentinck, ou les essais littéraires comme celui qu’il consacrait récemment à Thomas Moore ; il n’a qu’à tracer encore des esquisses comme celle qu’il retraçait un jour de la révolution de 1688 en Angleterre : belle et éloquente leçon que ce spectacle d’une révolution qui trouve en elle-même la force de se modérer, qui n’a pour ainsi dire que l’extérieur d’une révolution, mais où revit partout l’esprit conservateur, le culte du passé, la fidélité aux traditions historiques de l’Angleterre ! Une qualité remarquable du talent de M. Forcade, c’est qu’avec bien des saillies de verve, avec le goût et la connaissance des choses anglaises, il est resté très français, élégant et plein d’une vie propre ; il a le trait rapide, le récit animé et facile. L’instinct conservateur n’est pas seulement bon en lui-même ; nous serions tentés de croire qu’il est un préservatif pour le talent, parce qu’il le ramène aux traditions françaises ; il le garantit des boursouflures, des fausses exaltations, des idéalités chimériques, des quintessences humanitaires, de toutes ces maladies de l’esprit, dont il est bon de se garder comme de la fièvre.

Quintessences humanitaires, idéalités creuses, exaltations fausses, phraséologies amphigouriques, ce sont là pourtant les pièges les plus ordinaires de notre temps ; ce sont les pièges de la philosophie, de l’histoire, de la littérature,