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La biographie complètement dégagée des légendes et des faits apocryphes dont l’avaient surchargée la plupart des écrivains du moyen âge, et même les historiens modernes, a été rédigée d’après des document arabes. Elle contient, sur la civilisation de l’Espagne musulmane, des renseignemens d’un grand intérêt, renseignemens d’autant plus précieux qu’ils ont été puisés aux sources mêmes, et qu’ils sont beaucoup plus exacts que ceux qu’on trouve dans l’histoire de Conde, qui ne savait l’arabe que très imparfaitement et dans l’histoire plus défectueuse encore de M. de Marlès, qui, tout en compilant Conde, n’a fait qu’enchérir sur ses erreurs. Les rectifications historiques abondent dans cette partie du livre ; l’une des plus importantes se rapporte à l’opinion longtemps accréditée et reproduite par les historiens modernes de la philosophie, qu’Averroès avait le premier traduit Aristide du grec en arabe, et que c’était par la version latine de cette traduction que le philosophe de Stagyre avait été révélé au moyen âge. M. Renan établit d’une manière péremptoire, et c’est là, sous le rapport de l’altération de la doctrine primitive, un point essentiel, 1o qu’Aristote avait été traduit en arabe trois siècles avant Averroès, 2o que les traductions d’auteurs grecs en arabe ont été faites du syriaque, 3" que peut-être aucun savant musulman, et très certainement aucun Arabe d’Espagne, n’a su le grec.

Dans la partie analytique de son travail, M. Renan retrace rapidement, comme introduction naturelle du sujet particulier qui l’occupe, l’histoire du développement des sciences métaphysiques dans l’islamisme ; puis, quand il arrive aux écrits d’Averroès, il montre d’un côté leurs rapports avec ceux des autres philosophes musulmans, et de l’autre avec la doctrine péripatéticienne, et rapproche ainsi par l’analyse deux grandes civilisations séparées par la distance des siècles, le langage, la religion et les mœurs. Parlant de ce principe, qu’il est plus important de savoir ce que l’esprit humain a pensé sur une question que d’avoir un avis sur cette question même, il ne se prononce point sur les problèmes qu’il rencontre, il indique seulement comment ils ont été posés et résolus ; il ne dogmatise pas, il expose, et, suivant pas à pas son auteur par une analyse pénétrante et vive, il met a nu tous les secrets de sa pensée, et le dévoile tout entier. De cette étude neuve et approfondie résulte ce fait incontestable, à savoir que le système désigné au moyen âge et à la renaissance sous le nom d’averroïsme n’est que l’ensemble des doctrines communes aux péripatéticiens arabes, que l’homme qui a donné son nom à ce système n’a rien inventé, et que cette philosophie, dont on a beaucoup parlé sans la connaître et sans l’étudier, n’a été qu’un emprunt extérieur et sans fécondité, une imitation de la philosophie grecque, qui se rattache au prolongement péripatétique de l’école d’Alexandrie. Quoi qu’il en soit de ce manque absolu d’originalité, la philosophie arabe a su dégager avec hardiesse et pénétration les grands problèmes du péripatétisme, et en poursuivre la solution avec vigueur. M. Renan la regarde même comme supérieure à la philosophie du moyen âge, qui tendait toujours à rapetisser le problème et à le prendre par le côté dialectique et subtil.

La doctrine d’Averroès une fois expliquée aussi clairement que le comporte la profonde obscurité du sujet, M. Renan en suit l’histoire à travers les