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son cœur, du moins partager son trône et sa destinée. George de Hanovre, pareil en ceci à tous les libertins, appréciait infiniment chez ses maîtresses certaines qualités de bravura qu’il eût médiocrement goûtées chez sa femme. Tout ce qui lui était parvenu de l’humoristique originalité de la princesse de Celle, de sa verve moqueuse, de ses frivoles entraînemens d’esprit, l’avait quelque peu mis en défiance, et sur ce point l’examen attentif qu’il passa de Sophie-Dorothée fut à l’avantage de la jeune personne : les douloureuses épreuves du cœur avaient, non moins que les souffrances de la maladie, atténué en elle ces agrémens tout mondains qu’il redoutait. De son côté, Sophie-Dorothée, s’apercevant de la maladresse qu’elle avait faite en se voulant montrer trop empressée, étudia ses mouvemens, mesura ses réponses, et parut telle qu’il fallait être aux yeux d’un homme qui regardait une froideur guindée, une timidité même sotte, comme l’apanage d’une fille bien née, tandis que ses favorites, au contraire, ne lui semblaient jamais assez haut montées en arrogance, en effronterie et en impudeur.

Au bout de quelques jours de fréquentation assidue, George de Hanovre se fit à la jeune princesse. Malgré son goût prononcé pour les brunes, il découvrit bientôt dans la physionomie de sa fiancée des attraits qui ne laissaient pas d’avoir leur prix. Sans doute Sophie-Dorothée était rose et blonde, mais elle avait des yeux d’un noir de jais, et ces yeux s’éclairaient d’un si beau feu, lorsqu’elle dérogeait pour un moment au maintien de statue que ce Pygmalion de nouvelle espèce prétendait imposer à sa Galathée ! L’ogre finit par s’humaniser, et trouva qu’on pouvait, somme toute, s’accommoder d’une pareille femme quand la raison d’état vous ordonnait de l’épouser. Le mariage eut lieu le 21 novembre 1682. Le ciel était nébuleux et sinistre, la neige couvrait le sol : triste et froide journée, en harmonie avec le deuil de la pauvre âme qu’on traînait à l’autel ! Pendant la cérémonie, le courage de la jeune princesse, sa force de volonté, ne se démentirent pas. Puis vinrent les félicitations et les galas ; il fallut tenir tête à la joie des parens, aux propos complimenteurs, il fallut répondre à l’appel de l’orchestre et danser. Cœur brisé, lugubre fête ! On dit que, par intervalles, quand les fanfares se taisaient, on entendait le vent du nord gémir par les longs corridors du château, et la fiancée alors de pâlir et de frissonner sous sa couronne de diamans !

Encore quelques jours, quelques heures, et Sophie-Dorothée quittait ses parens, elle s’éloignait de ces paisibles lieux, paradis de son enfance, pour aller au milieu d’une famille étrangère, d’une cour bruyante et licencieuse, où nul ne la connaissait, où nul ne l’aimait, où l’attendait un destin plein de mystères et d’épouvante !