Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle ordonne au cocher de passer outre et de se diriger sur Hanovre, au grand ébahissement de la cour et à la sourde irritation de la famille princière, dont cette insulte au moins gratuite rend l’animosité désormais irréconciliable.

Lorsqu’on revint à Hanovre, personne n’ouvrit la bouche à Sophie-Dorothée sur son escapade, non plus que sur le scandale qui l’avait amenée. Il y eut comme un voile de silence jeté d’un commun accord sur toute cette histoire. Les haines et les fureurs, à la veille d’éclater, couvaient dans l’ombre, les mauvaises passions suivaient leur marche ténébreuse. L’électeur, ulcéré par la récente injure de la princesse ; ne lui témoignait qu’un intérêt de convenance, et se contentait à son égard d’être poli. Quant à l’électrice, elle avait cessé complètement d’adresser la parole à sa bru ; le prince George mettait de côté toute retenue dans ses relations publiquement affichées avec Mlle de Schulenbourg, et la comtesse de Platen ne perdait pas une occasion de décocher sur sa victime ses traits empoisonnés, de l’accabler insolemment sous ses airs de triomphe.

Plus isolée, plus triste que jamais, abandonnée de tous, la princesse pensa pour la seconde fois à s’enfuir. C’était auprès du père de ce loyal Auguste de Wolfenbüttel, qui jadis avait disputé le cœur de Sophie-Dorothée a Kœnigsmark, — c’était auprès du duc Antoine-Ulric que l’épouse de George de Hanovre projetait de se réfugier. Elle voulait convaincre le duc de son innocence, lui dénoncer l’adultère de son mari, évoquer la cause devant un tribunal de famille composé de divers membres des trois cours apparentées (Hanovre, Brünswick-Lünebourg et Wolfenbüttel), et par cette procédure obtenir cassation de son mariage. Le divorce une fois prononcé, peut-être espérait-elle disposer de sa liberté reconquise en faveur de celui qu’elle aimait. Tout indique qu’elle eut un moment cette arrière-pensée. Quoi qu’il en soit, elle communiqua ce plan à Kœnigsmark, qui, sur ces entrefaites, était revenu de Dresde. Chose étrange, Kœnigsmark l’en dissuada, au moins jusqu’à nouvel ordre, mais la princesse n’abandonnait point si facilement un projet : Sophie-Dorothée redoubla d’instances auprès de Philippe, elle alla même jusqu’à lui reprocher son peu de chevalerie, et Kœnigsmark, dont on avait toujours raison avec un argument de cette espèce, Kœnigsmark consentit à tout. D’ailleurs, ce rôle de protecteur de l’innocence, de ravisseur d’une princesse persécutée, ne lui déplaisait pas, et, plus encore peut-être que son amour, le charme du romanesque l’entraînait dans cette aventure. Il fut convenu que Philippe, s’aidant d’une escorte dévouée, enlèverait la princesse et la conduirait a Wolfenbüttel, mais qu’avant de rien entreprendre, on attendrait la réponse du duc Antoine-Ulric aux ouvertures de Sophie-Dorothée. Jusque-là on devait se tenir sur ses