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à partager équitablement les avantages de leur position. D’un autre côté, la domination d’une cité sur les autres était d’autant plus intolérable qu’elle n’était ni fondée sur un droit ou sur une tradition antiques, ni appuyée par une force matérielle assez prépondérante pour décourager les tentatives d’opposition. Tous les Grecs se regardaient comme enfans d’une même race, descendans des mêmes héros, objets de la prédilection de dieux également vénérés. Entre les principales villes, il n’y avait que de légères différences de population. Leurs soldats ne se distinguaient qu’à peine par le plus ou moins de soin apporté à l’armement et aux exercices militaires. Une circonstance fortuite, un capitaine habile ou heureux pouvaient toujours élever une cité médiocre au rang des plus puissantes. C’est ce qui arriva pour Thèbes lorsque Epaminondas dirigea son armée. De là pour chaque ville l’espoir persistant d’un retour de fortune et un attachement exclusif à sa petite nationalité.

Après une bataille, les citoyens de la ville victorieuse traitaient comme des vassaux ceux de la ville vaincue. Tour à tour les Athéniens et les Lacédémoniens formèrent une espèce d’aristocratie parmi les Grecs, aristocratie pauvre et partant avide, qui demeura toujours indifférente aux intérêts des populations sujettes. Les barbares du Nord firent peser quelque temps un joug de fer sur l’Europe occidentale soumise par leurs armes ; cependant ils adoptèrent la patrie des vaincus, et bientôt combattirent pour son indépendance et pour sa gloire. Il n’en fut point ainsi dans la Grèce. Le Lacédémonien harmoste dans une ville alliée, l’amiral athénien chargé de lever les tributs sur les îles sujettes, les pressuraient peut-être moins cruellement que le Franc ne rançonnait les serfs qu’il avait conquis dans un coin de l’empire romain, mais ils restaient étrangers parmi le peuple subjugué, et le fruit de leurs rapines passait à Sparte ou bien à Athènes.

Les institutions de Rome ont, au premier abord, une analogie remarquable avec celles des petits états helléniques, et on peut s’étonner que des vices semblables n’aient pas amené les mêmes catastrophes. Doit-on attribuer les succès durables de Rome au bon sens propre à la race italique, ou bien à un heureux hasard ? C’est une question dont la solution est au-dessus de mes forces. Je remarque seulement que les premiers progrès de Rome furent beaucoup moins rapides que ceux d’Athènes ou de Sparte, et ce fut un bonheur pour la première. Ses conquêtes lentes et graduées n’en furent que plus certaines, et chacune lui servit de moyen et pour ainsi dire d’échelon pour en entreprendre de plus importantes. Dans tous les temps, sa politique fut de s’approprier les institutions qu’elle avait appréciées chez ses voisins, de fortifier son aristocratie par