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dans une enceinte de jasmin une porte en rubis. Il franchit le seuil. Une fois dans le Jardin, il éprouve un bien-être ineffable ; ses vêtemens deviennent blancs ; nulle erreur humaine n’obscurcit plus son âme. Un homme s’offre à ses regards éblouis et le salue courtoisement. Le poète ne nous dit pas le nom de cet homme, mais on le devine aisément. « Son regard était bienveillant et suave ; il avait au manteau d’une couleur cendrée, la barbe et les cheveux blancs et sans ordre ; il portait une couronne et une ceinture de laurier ; son visage exprimait une grande autorité ; il tenait à la main un livre peu volumineux écrit en lettres de l’or le plus pur ; ce livre commençait par ces paroles : En medio del camino » Cet homme prend Impérial par la main, il le conduit à un endroit où il lui montre et lui explique sept vertus principales, représentées par sept étoiles, dont les rayons sont autant de vertus subalternes. La description des qualités et des attributs de chacune d’elles, le coup d’œil que, par une sorte de contraste, il jette sur différentes sectes hérétiques, abondent en traits élevés et brillans. La subdivision des vertus est faite avec cet esprit de justesse et d’analyse que nous avons déjà remarqué dans le poème consacré à la naissance de Jean Il. Le dénoûment est ingénieux et original. Lorsque le guide mystérieux a disparu, Impérial se réveille et trouve étonné entre ses mains la Divine Comédie. Un intérêt philologique se rattache à ce petit poème. C’est le premier essai sérieux qui ait été fait pour acclimater en Espagne les vers endécasyllabes de l’Italie. On en rencontre quelques-uns, il est vrai, dans des pièces d’une date antérieure ; mais ils y sont disséminés, et semblent n’être que l’effet du hasard. L’honneur d’avoir tenté une innovation si conforme à la prosodie de l’idiome castillan, et qui devait donner plus tard à la versification espagnole tant de noblesse et de majesté, a été jusqu’à ce jour accordé sans conteste au marquis de Santillana, qui, vers la moitié du XVe siècle, composa des sonnets à l’instar de ceux des italiens. Aujourd’hui il faut revendiquer celle gloire en faveur d’Impérial.

L.e marquis de Santillana, dans sa lettre au connétable de Portugal, parle avec estime, d’un autre poète contemporain du chantre des Sept Vertus. « Plus qu’un autre, dit-il, Ferrant Manuel de Lando imita Micer Francisco Impérial[1]. »

Lando a sa place à la suite d’Impérial dans le Cancionero de Baena. Il se distingua surtout dans la controverse, genre qu’il affectionnait tellement, qu’une fois il provoqua par un cartel poétique tous les troubadours du royaume. La vanité de Villasandino froissait, vivement l’amour-propre de Lando ; il repoussait ses attaques par de mordantes invectives, tout en affectant une mansuétude, qui n’était pas dans son caractère. L’âpreté qu’il porta dans une de ses polémiques contre Alphonse de Morana fit dégénérer en coups de poing cette joute littéraire. L’émulation excitait beaucoup son talent. Aussi souple, mais plus correct et plus incisif que ses antagonistes, Lando trouvait, pour abaisser leur orgueil, des accens éloquens ou profonds. Voyez avec

  1. Cette opinion est confirmée par ces paroles moqueuses que Villasandino adresse à Lando dans un tenson :

    Pues ceñides la correa
    De Francisco Imperïal…