Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peinture. Cette Terpsichore, bien ou mal nommée, avec une harpe un peu trop forte, dit-on, comme si la Muse n’avait pas des dons particuliers, n’est-elle pas, dans sa modiste attitude, le symbole de la grâce décente ? Dans ce groupe des trois Muses, auxquelles on peut donner le nom qu’il plaira, celle qui tient sur ses genoux un livre de musique, et qui chante ou va chanter, n’est-elle pas la plus ravissante créature, une sainte Cécile qui prélude encore avant de s’abandonner à l’enivrement de l’inspiration ? Et dans ces tableaux il y a de l’éclat et du coloris, le paysage y est éclairé d’une belle lumière, comme si le Poussin avait guidé la main de son ami.

Le Poussin ! quel nom je prononce ! Si Lesueur est le peintre du sentiment, le Poussin est celui de la pensée. C’est en quelque sorte le philosophe de la peinture. Ses tableaux sont des leçons religieuses ou morales qui témoignent d’un grand esprit autant que d’un grand cœur. Il suffit de rappeler les Sept Sacremens, le Déluge, l’Arcadie, la Vérité que le Temps soustrait aux atteintes de l’Envie, Diogène, le Testament d’Eudamidas, le Ballet de la vie humaine. Le style, est à la hauteur de la conception. Le Poussin dessine comme un Florentin, il compose comme un Français, et il égale souvent Lesueur dans l’expression ; le coloris seul lui a quelquefois manqué. Ainsi que Racine, il est épris de la beauté antique et il l’imite ; mais, comme Racine, il reste toujours original à la place de la naïveté et du charme unique de Lesueur, il a une simplicité sévère, avec une correction qui ne l’abandonne jamais. Songez aussi qu’il a cultivé tous les genres. C’est à la fois un grand peintre d’histoire et un grand paysagiste : il traite les sujets de religion aussi bien que les sujets profanes, et s’inspire tour à tour de l’antiquité et de la bible. Il a beaucoup vécu à Rome, il est vrai, et il y est mort ; mais il a beaucoup aussi travaillé en France, et presque toujours pour la France. À peine se fit-il connaître, que Richelieu l’attira à Paris et l’y retint tant que lui-même vécut, le comblant d’honneurs et lui donnant le brevet de premier peintre ordinaire du roi, avec la direction générale de tous les ouvrages de peinture et de tous les ornemens des maisons royales. C’est pendant ce séjour de deux années à Paris qu’il a fait la Cène, le Saint François-Xavier, la Vérité que le Temps enlève. C’est encore à la France, à son ami M. de Chanteloup, que de Rome il a adressé le Ravissement de saint Paul ainsi que les Sept Sacremens, composition immense et sublime qui peut rivaliser avec les Stanze de Raphaël. J’en parle ainsi d’après les gravures, car les Sept Sacremens ne sont plus en France. Honte éternelle du XVIIIe siècle ! Il a fallu du moins arracher aux Grecs les frontons du Parthénon : nous, nous avons livré à l’étranger, nous lui avons vendu tous ces monumens du génie français qu’avaient recueillis avec un soin religieux Richelieu et Mazarin ! Et l’indignation publique