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italiennes de Murillo el de Vélasquez ; mais enfin qu’est-ce que tout cela devant de sérieuses et puissantes compositions telles que les Sept Sacremens, par exemple, cette profonde représentation des rîtes chrétiens, ouvrage des plus hautes facultés de l’intelligence et de l’âme, et où l’intelligence et l’âme trouveront à jamais un sujet inépuisable d’étude et de méditation ! Grâce à Dieu, le burin de Pesne les a sauvés de notre ingratitude et de notre barbarie. Tandis que les originaux décorent la galerie d’un grand seigneur anglais[1], l’amitié et le talent d’un Pesne, d’une Stella, nous en ont conservé des copies fidèles dans ces gravures expressives qu’on ne se lasse pas de contempler, et qui, chaque fois qu’on les examine, nous révèlent quelque nouveau côté du génie de notre grand compatriote. Regardez surtout l’Extrême-Onction : quelle scène sublime et en même temps presque gracieuse ! On dirait un bas-relief antique, tant les groupes en sont bien distribués, avec des attitudes naturelles et variées ! Les draperies sont admirables comme celles du fragment des Panathénées qui est au Louvre. Les figures ont toutes de la beauté, Cest de la sculpture, va-t-on dire ; oui, mais c’est aussi de la peinture, si vous-même vous avez l’œil du peintre, si vous savez être frappé par l’expression de ces poses, de ces têtes, de ces gestes et presque de ces regards, car tout vit, tout respire, même dans ces gravures, et si c’était le lieu, nous tâcherions de faire pénétrer avec nous le lecteur dans ces secrets du sentiment chrétien qui sont aussi les secrets de l’art.

Tâchons de nous consoler d’avoir perdu les Sept Sacremens, et de n’avoir pas su disputer à l’Angleterre et à l’Allemagne tant d’autres admirables productions du Poussin, englouties aujourd’hui dans les collections étrangères[2], en allant voir au Louvre ce qui nous reste

  1. Les Sept Sacremens du Poussin sont chez lord Egerton, dans la galerie de Bridgewater. Voyez. M. Waagen, t. Ier, p. 333.
  2. On aura une idée des pertes que la France a faites ; et surtout du peu de zèle que nous avons mis à acheter des Poussin sur les marchés de L’Europe, en voyant dans l’ouvrage déjà cité de M. Waagen que l’Angleterre seule possède plus de tableaux du Poussin que nous n’en avons au Louvre : par exemple, outre les Sept sacrement, le Moïse frappant les eaux de sa baguette, que M. Waagen déclare une composition tout à fait magistrale, pleine de vie et de force ; une Sainte Famille, puissante et lumineuse, kräftig und klaar in der Farbe ; Marie avec l’enfant Jésus entourée d’anges, » le plus beau Poussin que je connaisse pour le coloris, » dit M. Waagen ; la Peste d’Athènes d’après Thucidide, est des plus grandes et des plus admirables compositions d’histoire du Poussin, au jugement du même critique ; la première Arcadie, qu’il eût été si précieux d’avoir à côté de la seconde et la meilleure, qui est au Louvre ; une cinquantaine de dessins de différentes époques de la vie du Poussin, entre autres lu dessin de la Peste d’Athènes ; enfin l’esquisse du Testament d’Eudamidas. – Au musée de Madrid se trouve le tableau célèbre le Départ pour la chasse au Sanglier de Calydon, où, avec la pureté du dessin, la grandeur du style et la noblesse d’expression qui n’abandonnent jamais le peintre français, ne relève un coloris vigoureux [Musées d’Espagne, etc., 1843). L’auteur des Musées d’Allemagne et de Russie signale encore à Vienne, dans la galerie du Belvédère, la Prise et la destruction du Temple de Jérusalem pur Titus, un des puis beaux tableaux du Poussin, dit-il, tris vaste composition, imposante, pathétique, et si pleine de mouvement et d’action, si remplie d’épisodes divers, qu’il serait tenté de la trouver un peu tourmentée. — Voulez-vous un exemple tout récent du peu de cas que nous semblons faire du Poussin ? La rougeur monte au front quand on pense que nous avons laissé passer en Angleterre, en 1848, l’admirable galerie de M. de Montcalm. Un tableau avait échappé ; il a été mis en vente à Paris le 25 mars 1850. C’était un Poussin ravissant, de la plus parfaite authenticité, provenant primitivement de la galerie d’Orléans, et longuement décrit dans le catalogue de Dubois de Saint-Gelais. Il représentait la Naissance de Bacchus, et par la variété des scènes et la multitude des idées il attestait le meilleur temps du Poussin. Rendons justice à la Normandie, à la ville de Rouen : elle fit effort pour l’acquérir ; mais le gouvernement ne la soutint pas, et cette composition toute française a été adjugée a Paris pour 17,000 francs à un étranger,.M. Hope.