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connu et retracé le XVIIe siècle qu’aux approches de son déclin[1] ; Morin et Mellan ont pu le voir et nous l’ont transmis en sa glorieuse jeunesse. Morin est le Champagne de la gravure, ou plutôt il ne grave pas, il peint. C’est lui qui représente à la postérité les hommes illustres de la première moitié du grand siècle, Henri IV, de Thou, Saint-Cyran, Marillac, d’Andilly, Benlivoglio, Richelieu, Mazarin jeune encore[2]. Mellan a eu le même avantage : il est le premier en date de tous les graveurs du XVIIe siècle, et peut-être aussi est-il le plus expressif. Avec une seule taille, il semble que de ses mains il ne peut sortir que des ombres : il ne frappe pas au premier aspect : mais à mesure qu’on le regarde davantage, il saisit, il pénètre, il touche comme Lesueur[3].

Le christianisme, c’est-à-dire le règne de l’esprit, est favorable à la peinture, particulièrement expressive, La sculpture semble un art païen, car, si l’expression morale doit y être encore, c’est toujours sous la condition impérieuse de la beauté de la forme. Voilà pourquoi la sculpture est comme naturelle à l’antiquité et y a jeté un éclat incomparable, devant lequel a un peu pâli la peinture, tandis que chez les modernes elle a été éclipsée par celle-ci et lui est demeurée très inférieure, dans l’extrême difficulté de forcer la pierre et le marbre à exprimer des sentimens chrétiens sans que la beauté matérielle en souffre, en sorte que d’ordinaire notre sculpture est insignifiante pour être belle, ou maniérée pour être expressive. Depuis l’antiquité, il n’y a eu véritablement que deux écoles de sculpture, l’une à Florence, un peu avant Michel-Ange et surtout avec Michel-Ange, l’autre en France, à la renaissance, avec Jean Cousin, Goujon, Bullant, Germain

  1. Edelinck n’a vu que le règne de Louis XIV. Nanteuil n’a pu graver que très peu de grands hommes du temps de Louis XIII et de la régence, et dans la dernière partie de leur vie, Mazarin dans ses cinq ou six dernières années, Condé vieillissant, Turonne vieux, Fouquet et Mathieu Molé quelques années avant la chute de l’un et la mort de l’autre, et il lui a fallu perdre trop souvent son talent sur une foule de parlementaires et de financiers obscurs.
  2. Si je voulais faire connaître à quelqu’un le XVIIe siècle dans sa partie la plus grande et la plus négligée, celle que Voitaire a presque entièrement omise, je lui donnerais à rassembler l’œuvre de Morin.
  3. Mellan n’a pas seulement fait des portraits d’après les peintres célèbres de son temps, il est auteur lui-même de grandes et charmantes compositions dont un grand nombre servent de frontispices à des livres. J’appelle volontiers l’attention sur celle qui est en tête de l’édition in-folio de l’Introduction à la vie dévote, et sur les beaux frontispices des écrits de Richelieu sortis de l’imprimerie du Louvre.