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miss Faith Benson, d’un caractère infiniment plus mâle que le sien, plus décidée dans ses actions, et dont toute la nature peut se révéler par cette petite particularité, qu’elle siffle comme un garçon chaque fois qu’elle est embarrassée ou qu’elle médite de prendre un parti. M. Benson mande sa sœur dans le pays de Galles, lui raconte l’histoire de Ruth et lui fait part de son projet de la recevoir chez lui. Miss Benson, après avoir murmuré, hoché la tête, siffloté entre ses dents, y consent, lorsqu’un nouveau fait, plus triste encore et plus embarrassant que tous les autres pour le ménage du pauvre ministre, se découvre : Ruth est enceinte. Comment agir dans une telle circonstance ? sous quel titre présenter à ses paroissiens, à ses amis, la pauvre pécheresse ? Cas embarrassant, et qui demanderait pour être résolu toute la subtilité d’un casuiste et toute l’audace de charité d’un saint ; mais l’honnête et le timide M. Benson n’est ni un saint, ni un casuiste, il n’est qu’un homme charitable et faible, vivant dans une société pleine de défiances et qui ne pardonne guère. Il se décide à faire un mensonge innocent, ce qu’on nomme en anglais d’un mot charmant, a white lie, un blanc mensonge. Ruth sera présentée aux habitans d’Eccleston, la paroisse de M. Benson, comme une jeune veuve du nom de mistress Denbigh, dont le mari vient de mourir dans le pays de Galles. Cette petite fourberie ne fera de mal à personne, sauvera l’honneur à l’enfant qui va naître, donnera à Ruth un moyen plus facile de se réhabiliter et de reconquérir dans le monde une place honorable.

Ce blanc mensonge est, à proprement parler, le nœud véritable du roman ; il en est le trait caractéristique et l’intérêt principal. Lorsque le roman de Ruth a paru en Angleterre il y a quelques mois, tous les journaux qui en ont rendu compte se sont longuement étendus sur ce mensonge innocent : les uns l’ont condamné, les autres excusé par des raisons qui n’étaient guère concluantes et qui ne pouvaient pas l’être. Ces dissertations font incontestablement honneur à la moralité de l’esprit anglais, encore très-peu fort, paraîtrait-il, sur la casuistique. Le mensonge de M. Benson, à proprement parler, n’est qu’une sorte de voile jeté sur la vie antérieure de Ruth pour la dérober aux regards malveillans. Cette doctrine détestable : la fin justifie les moyens, n’est pas employée par lui dans ce cas particulier ; car il ne poursuit pas un but incertain, il veut sauver l’honneur, la réputation et la vie d’une personne dont l’innocence et la parfaite candeur lui sont parfaitement connues. Il a donc à choisir entre ces deux choses : ou conserver intacte et sans tache pour lui-même sa respectabilité en sacrifiant au pharisaïsme d’autrui l’honneur et la vie d’une créature humaine, ou faire le sacrifice de l’intégrité de cette même respectabilité pour sauver son innocente protégée. Lequel des deux