Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/969

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’inégalité. Déjà les ressources de la France s’épuisaient, ce n’était plus qu’à grand’peine, que les successeurs des Colbert et des Louvois fournissaient à ceux des Condé, des Turenne, des Duquesne, des ressources suffisantes en hommes et en argent. Déjà aussi sur mer nous avions perdu la supériorité ; sur terre, nous remportions encore des victoires, mais presque toujours c’étaient de ces victoires peu décisives qui, pour un grand état attaqué par de nombreux ennemis, sont souvent le prélude de véritables désastres. Voltaire a parfaitement caractérisé cette situation en représentant la France, comme Un corps puissant et robuste, fatigué d’une longue résistance, épuisé par ses victoires, et qu’un coup porté à propos eût fait chanceler.

Cet état de choses était grave. Il était d’autant plus urgent d’y mettre un terme, que déjà on prévoyait, dans un prochain avenir, un événement qui ne pouvait manquer d’apporter dans la politique générale les plus redoutables complications. Le roi d’Espagne Charles II, jeune encore, mais d’une santé depuis longtemps ruinée, semblait presque toucher à ses derniers momens ; il n’avait pas d’enfans, et en lui finissait la descendance mâle de Charles-Quint, dont l’immense héritage allait nécessairement être disputé par de nombreux prétendans. Le dauphin, fils de Louis XIV et d’une sœur de Charles II, se présentait en première ligne ; après lui venait le prince électoral de Bavière, petit-fils d’une autre sœur du prince moribond. On leur objectait les actes de renonciation souscrits par la mère de l’un d’eux et par la grand’mère de l’autre au moment de leur mariage, et dans le cas où ces renonciations auraient été jugées valables, l’empereur Léopold, soit comme descendant d’une tante de Charles II, soit comme chef de la seconde branche de la maison d’Autriche, issue d’un frère cadet de Charles-Quint, paraissait appelé à recueillir lui-même ou par un de ses fils la succession de la branche aînée. Trente ans auparavant, la santé du roi d’Espagne encore presque au berceau inspirant déjà des inquiétudes sérieuses, l’empereur avait conclu secrètement avec Louis XIV un traité éventuel pour le partage de la monarchie espagnole ; mais la suite des évènemens avait annulé ce traité. Depuis lors, les circonstances s’étaient beaucoup modifiées, les esprits s’étaient aigris, et Léopold était moins disposé à la conciliation, pour que la France ne courût, pas le risque de voir ses prétentions échouer complètement, il importait de prendre à l’avance des arrangemens auxquels il n’était pas possible de travailler tant qu’elle serait en guerre avec le cabinet de Madrid et avec toutes les autres puissances de premier ordre. Bien qu’il ne soit pas vrai, comme on le crût généralement alors, que cette considération ait été un motif déterminant des sentimens plus pacifiques dont Louis XIV se montra tout à coup animé, il n’est guère