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opposer avec la vigueur nécessaire. L’ambassadeur de France à Londres, Tallard, dont les dépêches attestent un esprit supérieur et une rare pénétration, voyait mieux que les deux rois les véritables sentimens de l’Angleterre. Stimulé par le désir de mener à bon terme une négociation dont le succès devait, suivant toute apparence, lui frayer la voie à la plus liante, fortune, il s’efforçait constamment de ramener le cabinet de Versailles à une appréciation plus juste de la situation[1].


« Bien qu’il soit vrai, écrivait Tallard au roi, que l’Angleterre est très épuisée, qu’elle doive plus de 200 millions dont le paiement est assigné sur presque tous les fonds dont on peut tirer de l’argent,… bien que la nation soit, à l’égard du roi, dans des dispositions très peu dociles, et que certainement il ne dépendît pas de lui de l’entraîner à une guerre, si elle n’était pas absolument persuadée que ses intérêts l’exigent impérieusement, il est également certain que les Anglais considèrent le partage de la succession du roi d’Espagne comme une chose à laquelle ils doivent prendre part… Ils savent que leur commerce et leurs intérêts sont en jeu, et qu’ils seraient ruinés, si votre majesté était maîtresse de Cadix et des Indes… Ainsi donc, sire, sans examiner l’état de leurs ressources, vous pouvez être assuré qu’ils se décideraient à une guerre, si on leur persuadait que votre majesté veut se rendre maîtresse des pays que je viens de nommer… Et soyez bien convaincu aussi que le roi d’Angleterre, qui rencontre à présent tant d’opposition, qui, si la paix est maintenue, en remontrera plus encore dans le prochain parlement,… sera en mesure de tirer des poches des Anglais jusqu’à leur dernier penny le jour où il y aura guerre contre la France,… et je dois ajouter que le crédit ne leur manquerait pas, parce que le parlement a payé de bonne foi tous les bills de l’échiquier. »


Peu de jours après, Tallard, revenant à la charge, donnait à entendre que, si l’on poussait à bout le roi Guillaume, il pourrait bienn pour se tirer des embarras de toute espèce dont il était entouré et comme par un coup de désespoir, se décider à la guerre en se prévalant, pour y pousser les Anglais, de la terreur que leur inspirait la crainte de voir Cadix et les Indes au pouvoir de la France. Dans une dépêche postérieure de quelques semaines, l’ambassadeur reproduisait, en termes plus pressans encore et presque menaçans, ses conseils de modération et de conciliation.


« S’il arrivait, disait-il, qu’un des fils du dauphin fût appelé à la couronne d’Espagne sans concert préalable avec le roi d’Angleterre, je me hasarde à dire que votre majesté se verrait engagée dans une guerre semblable à celle qu’elle a si récemment terminée, que l’Angleterre, la Hollande, une partie des princes allemands y prendraient part,… que l’empereur ne s’oublierait

  1. Je dois avertir que les citations qu’on va lire ne sont pas textuelles : j’ai dû les retraduire en français sur une traduction du français en anglais.