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le pressaient de tous côtés, aux avis des théologiens, à ceux du pape lui-même, dont il avait imploré les conseils, se décida à signer un troisième testament qui instituait le duc d’Anjou héritier de tous ses états, et, dans le cas où il n’accepterait pas cet héritage, lui substituait l’archiduc Charles.

Quelques semaines après la signature de ce testament, qui était resté secret, le 1er novembre 1700, Charles II termina, à trente-neuf ans, sa triste existence. Le conseil de régence, ayant pris connaissance du testament, fit partir aussitôt pour Paris un courrier chargé de porter à Louis XIV l’offre de la couronne d’Espagne pour son petit-fils ; à défaut d’une acceptation complète et immédiate, le courrier devait se diriger sur Vienne.

Le gouvernement français se vit alors placé dans une des situations les plus difficiles, les plus embarrassantes où jamais gouvernement ait pu se trouver. Accepter le testament, c’était rompre les engagemens solennellement contractés avec l’Angleterre et les Provinces-Unies, c’était se donner les apparences, pour ne pas dire plus, d’une insigne mauvaise foi, et courir les chances presque infaillibles d’une nouvelle guerre européenne. Ces inconvéniens, ces dangers étaient graves ; mais ceux auxquels on se serait exposé en suivant une autre politique ne semblaient pas devoir l’être moins. En repoussant le legs de Charles II pour s’en tenir au traité de partage, on forçait en quelque sorte l’Espagne, pour échapper à un démembrement, à se jeter entre les bras de l’empereur, qui, seul de toutes les grandes puissances, n’avait pas accédé à ce traité ; les vice-rois et gouverneurs des diverses dépendances de la monarchie espagnole les eussent livrées aux forces impériales ; Louis XIV, pour entrer en possession des états attribués au dauphin par les arrangemens conclus avec les cabinets de Londres et de La Haye, se serait vu contraint de recourir à la force des armes, de faire la guerre, non-seulement à l’empereur, mais à une nation qui ne lui avait donné aucun sujet de plainte, qui, bien loin de là, avait voulu couronner son petit-fils, et ne lui demandait que de ne pas la dépouiller de ses légitimes possessions. Dans cette guerre injuste, odieuse, qui eût tourné contre la France l’opinion publique, elle ne pouvait pas même compter sur l’appui bien énergique des alliés équivoques auxquels elle eût essayé de complaire. Si la lutte se prolongeait tant soit peu, il était évident que l’Angleterre, que la Hollande surtout ne s’imposerait pas de grands sacrifices pour agrandir la puissance française, objet de leurs plus vives jalousies, aux dépens de l’Autriche et de l’Espagne, avec qui elles avaient fait cause commune dans les guerres précédentes : les termes du traité de partage les y obligeaient sans doute, ils étaient formels, ils les constituaient en état d’alliance avec