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de prendre d’autres mesures. C’était une complète erreur, dont les Mémoires de Torcy ont depuis fait justice, mais elle s’appuyait sur de telles vraisemblances, que des esprits moins prévenus y seraient eux-mêmes tombés. Louis XIV cependant prenait possession, au nom de son petit-fils, de la monarchie espagnole, expulsait des places des Pays-Bas les garnisons hollandaises, et, pour se prémunir contre les hostilités dont il était menacé, s’empressait de conclure avec la Savoie, le Portugal, la Bavière et d’autres états allemands des traitée d’alliance auxquels la plupart ne devaient pas rester longtemps fidèles, mais dont alors on ne pouvait prévoir la rupture si prochaine. Jamais la France n’avait paru plus forte, plus imposante ; jamais le trône de Louis XIV n’avait brillé d’un plus grand éclat. Vainement l’empereur protestait et réclamait l’appui de l’Angleterre et de la Hollande : ces deux puissances, ne se sentant pas encore en état de lui venir en aide, reconnaissaient le duc d’Anjou en qualité de roi d’Espagne, et se bornaient pour le moment à essayer, au moyen de négociations ouvertes avec les cabinets de Versailles et de Madrid ; d’obtenir dans les Pays-Bas, par l’occupation de quelques places, une barrière contre les empiétemens de la France, et dans les colonies des garanties pour leur commerce. Leurs propositions étaient repoussées, il était évident pour tout le monde qu’on ne parviendrait pas à s’entendre, et cependant les négociations se prolongeaient, parce que Louis XIV n’avait aucune raison, aucun prétexte de prendre l’initiative de l’attaque, et parce que ses adversaires n’étaient pas prêts encore. Il entrait d’ailleurs dans la politique de Guillaume III de bien démontrer à ses sujets qu’il avait fait tout ce qui dépendait de lui pour arriver à une conciliation, et que l’intraitable ambition de gouvernement français s’était refusée à tout accommodement. C’était le meilleur moyen de hâter le réveil de l’opinion publique, qui commençait à se ranimer chez les Anglais.

Comme l’avait si bien prévu la sagacité du comte de Tallard, la nation britannique, en voyant toute la monarchie espagnole passer sous le sceptre d’un prince français, sentait renaître ses vieilles jalousies. Vainement le parti tory, qui dominait alors dans la chambre des communes, où il décrétait d’accusation le lord chancelier Somers et d’autres ministres whigs, voulut-il d’abord essayer d’arrêter, d’éluder le mouvement : il fut bientôt entraîné lui-même par la force du sentiment national, et la chambre, par plusieurs votes non équivoques, manifesta l’intention de concourir à la défense de l’équilibre européen. Déjà l’empereur, assuré sans doute, de trouver bientôt des alliés, s’était décidé à commencer la guerre ; une année autrichienne, commandée par le prince Eugène, était entrée dans le Milanais, et les premières hostilités, bien que peu décisives encore, avaient semblé