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Les gentilshommes de campagne (country gentlemen), dont se composait la chambre basse, avaient alors et conservèrent longtemps encore une rusticité de mœurs et d’habitudes qui les rendait peu propres à se mêler utilement des affaires publiques : dénués de toute instruction, passant presque tout leur temps dans la surveillance des travaux agricoles ou dans les plaisirs de la table et de la chasse, sauf les momens qu’ils donnaient à leurs fonctions de juges de paix, ne voyageant jamais, et ne se montrant même à Londres que lorsqu’ils y étaient appelés pour siéger au parlement, ils portaient dans leurs fonctions législatives les préjugés, la crédulité, l’ignorance, la facilité d’entraînement, la turbulence aveugle et passionnée que l’on croit généralement être le caractère exclusif de la démocratie. C’est qu’il n’y a rien de si difficile à constituer qu’une aristocratie politique ; c’est que la pratique de la liberté, l’exercice du pouvoir, sont nécessaires pour la former ; c’est qu’enfin cette éducation, comme toutes les autres, exige du temps, des épreuves multipliées, des sacrifices souvent pénibles. Les nations, comme les individus, ne s’instruisent que par leur propre expérience. Ceux qui, reconnaissant les avantages d’une constitution libre, veulent qu’on attende pour en doter un peuple qu’il soit parfaitement capable d’en manier sans danger les ressorts compliqués et délicats, ceux-là ressemblent au médecin qui, avant de consentir à entreprendre la guérison d’un mal, exigerait qu’il eût déjà repris, pour mieux supporter les remèdes, les forces que ces remèdes seuls peuvent lui rendre.

Ce qui augmentait singulièrement alors les difficultés de la situation, c’est que les principes de la constitution britannique étaient loin d’être définis et compris aussi nettement qu’ils l’ont été plus tard. On sait que cette constitution n’est écrite nulle part, qu’elle se compose de précédens successifs, sanctionnés en quelques rares occasions par un petit nombre de statuts applicables à des cas particuliers qui avaient appelé d’une manière plus spéciale l’attention et l’intervention des pouvoirs publics. À l’avènement de Guillaume III, le bill des droits pourvut à empêcher le renouvellement de quelques-uns des abus principaux qui, en étendant outre mesure la prérogative royale, avaient entraîné les Stuarts aux actes qui venaient de les précipiter dans l’exil ; mais le parlement n’eut pas la pensée, si étrangère à l’esprit anglais, de reprendre en sous-oeuvre l’édifice des institutions du pays pour lui donner des proportions exactes et régulières, il n’essaya pas de résoudre des questions de principe que la nécessité, et une nécessité immédiate, n’avait pas soulevées. Ces questions d’ailleurs ne se présentaient pas encore bien distinctement aux esprits. Les bornes de la liberté, ou, pour mieux dire, de la tolérance religieuse, dont on excluait presque complètement les catholiques et qu’on n’accordait même aux protestans dissidens que