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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/996

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craindre on mourant d’avoir échoué dans les entreprises auxquelles il avait consacré sa vie. Louis XIV, en ce moment, semblait avoir réalisé le rêve le plus exalté de son ambition en plaçant sur le trône d’Espagne un de ses petits-fils dont il devait pour longtemps diriger les conseils, et bien que Guillaume, avec sa persévérance habituelle, eût déjà organisé la grande alliance dont le but était de garantir l’Europe contre les conséquences d’un tel événement, il était loin sans doute de prévoir avec certitude les prodigieux succès qui devaient couronner ce dernier effort de son habile diplomatie. Tout indique qu’il n’apercevait pas encore, dans l’état intérieur de la France, les principes d’affaiblissement qui devaient faciliter les victoires des alliés.

Bien moins encore paraissait-il avoir conscience des résultats définitifs de la révolution qu’il venait de faire en Angleterre. Autant qu’on en peut juger, l’importance de cette révolution consistait surtout pour lui dans le changement qu’elle avait apporté au système des alliances politiques ; Guillaume y voyait surtout l’avantage d’avoir fait rentrer dans les rangs des ennemis naturels de la France une puissance qui, sous la domination anti-nationale des Stuarts, avait presque constamment, pendant trente années, toléré ou même secondé les empiétemens et les conquêtes de Louis XIV. Quant à l’avenir de grandeur que la révolution de 1688 ouvrait à la nation anglaise, il le soupçonnait d’autant moins, que, comme il arrive souvent aux esprits les plus pénétrans et les plus élevés, la préoccupation bien naturelle des difficultés et des misères inséparables des premiers temps qui suivent ces grands changemens ne lui laissait rien apercevoir au-delà. Les proportions, la nature même de l’œuvre qu’il avait accomplie, échappaient à ses regards. Il se croyait simplement le successeur des Stuarts. Il se persuadait avec tous ses contemporains que la constitution de l’Angleterre était encore en principe ce qu’elle avait été sous ses prédécesseurs, mieux pratiquée seulement et plus fidèlement observée ; il ne voyait pas qu’il avait inauguré l’âge des libertés modernes, si différentes, même en Angleterre, des franchises du moyen âge, et cette illusion, ce malentendu ne contribua pas peu à irriter l’état d’hostilité presque permanent qui ne tarda pas à s’établir entre lui et ses nouveaux sujets.

Il faut lire les innombrables pamphlets du temps pour comprendre la violence des haines qui inspiraient celle lutte. Ceux que l’esprit de parti a dictés de nos jours contre Napoléon et contre Louis-Philippe peuvent à peine en donner l’idée. Les plus grossières, les plus absurdes, les plus monstrueuses calomnies faisaient le fonds habituel de ces publications, d’autant plus virulentes que leurs auteurs se sentant menacés, s’ils venaient à être découverts, des plus terribles châtimens, y portaient les sentimens de fureur, que l’on éprouve dans une guerre à mort. Une telle exaspération n’a rien qui puisse nous