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de la vie, qui fait le charme principal des représentations théâtrales : eh bien ! si de près on y cherche sa propre figure, le nez en occupe la moitié, les parties voisines sont démesurément rapetissées, tandis que les épaules et les bras sont eux-mêmes peu en rapport avec la tête. Ainsi, là comme devant la boite daguerrienne, il ne faut pas que le nez avance plus que le front ; autrement, gare la perspective et le défigurement ! Mais en faisant prendre au modèle une pose où le front et le nez soient à la même distance de l’appareil photographique, ces deux parties sont en vraie grandeur, les yeux ne sont pas rapetissés, pas plus que les joues ; la bouche et le menton sont devenus un peu plus délicats que dans la nature, et en y joignant l’attention de ne pas poser les mains en avant pour ne pas leur donner une énorme dimension, on aura tout ce que l’on peut faire de mieux avec la photographie, d’après les lois de la perspective. Cependant, je le déclare, tant que l’on s’obstinera à produire de prés, comme on le fait, les portraits daguerriens, on aura toujours des images sensiblement déformées : l’optique et la logique infaillible de la perspective ne peuvent être en défaut. Je vais faire se récrier toute la classe des photographes en affirmant qu’il n’y a de fidèle portrait que celui qui est pris ou qui serait pris à dix mètres du modèle ; mais qu’y faire ? c’est la vérité, la vérité mathématique, incontredisable.

Les boules convexes étamées dont nous venons de parler reproduisent le paysage avec tout son éclat naturel, toutes ses couleurs, tout son orgueil de riches teintes de bleu, de vert, de blanc, de jaune pâle, pour le ciel, les arbres, les nuages, le sol. Les dessinateurs qui ne veulent reproduire les objets que par le blanc et le noir emploient, au lieu de miroirs étamés, un miroir de même forme, mais taillé dans un verre noir qui détruit la couleur des objets et les ramène en partie à la lumière et à l’ombre. On fait cas surtout des miroirs d’obsidienne, espèce de verre d’un brun noirâtre que la nature produit dans ses fourneaux volcaniques et notamment en Islande, et qui rendent le paysage, comme nous l’avons dit, blanc et noir, sans laisser subsister les couleurs primitives des objets. Dans toutes ces représentations, on recherche la fidélité de la perspective, et le dessinateur qui les reproduit ne fait que les copier sans avoir besoin de se rappeler, ou sans avoir même jamais appris les règles de la perspective ordinaire, désignée encore sous le nom de perspective linéaire.

La perspective aérienne est bien autre chose. Il n’est point de peintre qui ne vous dise qu’entre une figure et un fond même très rapproché il y a perspective aérienne, que c’est d’après cette perspective que la figure se détache du fond qu’elle touche presque, et que si la perspective linéaire est impuissante à montrer une différence entre un objet et un fond très voisin, il y a cependant entre eux de l’air, qui fait que l’objet est saillant et ne se confond pas avec le mur sur lequel il est presque collé.

Il y a de l’air ! à la bonne heure ; mais il y en a peu. Les physiciens, et M. Arago en tête, qui ont mesuré que 100 ou 200 mètres d’air (à moins qu’on ne soit dans un temps de brouillard) n’éteignent pas sensiblement les rayons de lumière, ont de la peine à attribuer quelque effet à 1 mètre, un 1/2 mètre d’air, ou même moins encore. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait là aucun effet produit. La saillie de la figure sur le fond est indubitable, mais l’air n’y est pour rien. Dans le vide de la machine pneumatique, comme au fond d’une eau