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finances mexicaines ne sont pas florissantes. Le président Arista, dans son dernier discours aux chambres, a prononcé ces propres paroles : L’étal du trésor est véritablement misérable. — Cela n’est point déguisé, et le président confirme la vérité de son assertion en établissant un déficit égal à la cinquième partie du revenu, et en déclarant qu’une partie des fonctionnaires n’est plus payée. Personne ici n’a le sentiment qu’un tel état de choses puisse durer. La crise financière précipitera la dislocation inévitable de l’état. On m’assure que le gouvernement mexicain a vécu jusqu’ici sur les 15 millions de dollars que les États-Unis ont donnés au Mexique en indemnité des provinces qu’ils lui avaient prises. Cette somme a été soldée par quartiers ; les derniers sont échus tout récemment, et le Mexique est ruiné depuis qu’il n’a plus à dépenser l’argent de ses vainqueurs. Il lui faudrait une seconde invasion pour rétablir ses finances ; mais cette fois les États-Unis prendraient tout et ne paieraient rien.

Le Mexique semble un condamné à mort qui a obtenu un répit d’une durée ndéterminée ; le répit ne saurait être bien long. Cette conviction est dans tous les esprits, et j’ai lieu d’être certain qu’un personnage très haut placé a exprimé dans la conversation le désir que la France ou l’Angleterre voulût bien s’emparer du Mexique, afin que son pays échappe aux États-Unis. Si les États-Unis ont d’ici à quelque temps autre chose à faire, que deviendra jusque-là ce beau et malheureux pays, le plus beau, le plus riche en productions de tous genres qui soit au monde, le seul qui réunisse les métaux précieux aux productions végétales des climats tropicaux et des climats tempérés ? Cependant on sent qu’il va mourir, parce qu’il ne peut pas vivre. Après avoir vu aux États-Unis un peuple naître et grandir, je vois ici une nation se dissoudre et s’éteindre. Ce qui est bien frappant et bien propre à faire réfléchir, c’est qu’une agonie mortelle ne supprime pas chez un peuple les apparences de la vie. À voir cette grande ville avec son luxe, ses magasins, ses promenades remplies d’une foule insouciante et parée, il semble qu’on soit au sein d’une société régulière et durable. Et cependant on sait, à n’en pouvoir douter, que cette société, minée par la base, repose sur le vide et finira par s’y abîmer. Singulier et effrayant spectacle ! Il en était ainsi dans l’empire romain la veille de son renversement par les Barbares, quand Ausone s’amusait à décrire en vers coquets le luxe et la sécurité de l’opulence romaine aux bords de la Moselle, à quelques pas des Barbares qui allaient venir ; quand cet empire, comme disait Salvien, mourait en riant. Les peuples qui laissent se briser dans leur sein les ressorts de la vie morale et de la société sont pareils à ces arbres, creux au dedans, qui ont à l’extérieur tous les semblans de la durée, et qui, un petit vent venant à souffler, tombent tout à coup.


J.-J. AMPERE.